BLANCHE TEJADA AUX MILLE FACETTES

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        Où situer cette créatrice, une fois précisé qu'elle est résolument hors les normes ? Est elle "naïve" ? Est elle "brute" ? Ou tout simplement Blanche Téjada, insouciante d'une quelconque classification ?

         "Naïve", elle l'est, certes, par le grand souci de quotidienneté, la préoccupation pour son entourage immédiat que, sous leurs apparents vagabondages, expriment ses peintures : Rue du Pressoir, Capharnaüm, Maternité, etc. Mais de cette tendance, elle n'a jamais la raideur caractéristique, ses personnages étant toujours en mouvement ! Naïve, elle le serait plutôt à cause de la "simplicité" des contours qui la ramènent par leur semblant de maladresse mais leur véritable science du trait, à ses origines, à ses états d'esprit d'autrefois, en tout cas à la sincérité des productions enfantines ! Naïve encore, et si ludique, par son habitude d'étaler les rêves ? les soucis ? de ses créatures (oiseaux, toiles d'araignées...) comme  si elles "pensaient" en fait avec des cerveaux/corbeilles ! Ou de compléter l'ovoïde dans laquelle elle place, consciemment ou non, ses groupes par un arceau  à l'encre, comme s'ils jouaient à la corde à sauter avec de minuscules individus silhouettés sur la page blanche !

    Proche de l'Art brut, elle l'est aussi, par la profonde implication psychologique qui se dégage de ses œuvres, la créativité instinctive perceptible dans chacune d'elles !

    Mais tellement variée, se réalisant dans des tapisseries faites de fibres entrelacées, de réseaux de plaques offset, de découpages de journaux et de lourds enrubannements métalliques  révélant dans leurs arabesques des visages inattendus ! Passant à la sculpture, à la gravure pour laquelle elle n'hésite pas à devenir "sacrilège", en "osant" découper les divers éléments pour les fixer tout de guingois sur de nouveaux supports ! 

         Et puis avant tout, peintre, même si elle n'a pas conscience que l'infinie richesse manifestée dans cette expression, la place parmi les grands ! S'y lançant tantôt dans des "cartes d'identité" où les visages caricaturaux sont aussi évocateurs que ceux des bandes dessinées ; tantôt dans des groupes agglutinés, aux têtes nombreuses et distinctes, orientées qui vers le bas, qui vers le haut... osmotiquement amalgamées pour ne former qu' un seul corps ; le paradoxe étant qu'elle part non pas des individus qu'elle surlignerait par des taches évocatrices, comme il semble forcément au spectateur ; mais des taches  dont les formes aléatoires déclenchent en elle la "vie" des individus. Tantôt encore, jetées sur le papier glacé au moyen d'un énorme pinceau chinois, de lourdes silhouettes très gestuelles, fondues à longs gestes  appuyés, visages maculés de projections de matière, figurant toujours de graves désarrois, à tout le moins de grandes émotions ! Sans oublier les papiers froissés, sortes de murs/écorces dans lesquelles disparaissent d'étranges passe murailles tristes ; ou, tel Chagall, scènes villageoises "bruyantes", en lévitation dans les chiffonnages ! Il faudrait continuer encore, parler de l'investissement de l'artiste dénonçant par quelques traits sinistres les infâmes wagons à bestiaux filant vers les camps de la mort ; de son besoin de rêve, faisant s'envoler au-dessus de leur HLM anonyme un couple d'amoureux enlacés, etc.  

          Mais dans ce voyage au centre de son univers, une chose apparaît à l'évidence : c'est que Blanche Téjada serait incapable de se limiter à l'une ou l'autre de ces expressions. Toutes lui sont nécessaires et  tellement complémentaires ! Car elle est elle-même riche et multiple, primesautière et autoritaire, intransigeante mais susceptible de la plus grande gentillesse et convivialité ; provocatrice aussi, refusant obstinément de parler de son travail pour voir si son interlocuteur a en lui assez de pertinence et de sensibilité pour y pénétrer ! Jeune, enjouée, Blanche Téjada, malgré le poids des ans ; ou terriblement sérieuse, lorsqu'un sujet lui tient à cœur !

 

     Mais comment vérifier tout cela, puisqu'elle refuse obstinément de se laisser photographier ? Il faut donc faire confiance à ses petites créatures, témoins si vivants et ensoleillés de sa joie de vivre !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999, APRES LE IVe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY.