ALEXEJ GEORGEVITCH JAWLENSKY 

(1864-1941)

à l’Espace Van Gogh d’Arles

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          Depuis 1970, date à laquelle le musée de Lyon présenta une exposition d'œuvres de Jawlensky, cet artiste était tombé, en France, dans un oubli quasi total. Du 3 avril au 30 juin 1993, la Ville d'Arles présente soixante-et-onze de ses œuvres majeures, empruntées à l'Allemagne, aux USA, à l'Afrique du Sud, la Suisse et la Grande Bretagne ; œuvres jamais présentées ensemble, et jamais revenues en Europe depuis là Guerre.

          Pourquoi Jawlensky en Arles ? Parce que cet artiste russe qui, depuis 1885 peignait des paysages de la steppe, rencontra Anton Azbé et Kandinsky, vint en France au début du siècle, séjourna en Bretagne, vit les œuvres de Cézanne au Salon d'Automne de 1905, et arriva en 1907 dans le Midi où il séjourna plusieurs mois. En 1909, il acheta lors d'une exposition à Munich, "La Maison du Père Pilon" de Van Gogh, œuvre de la période d'Auvers-sur-Oise qui eut sur lui une très forte influence. Si rien ne prouve qu'il ait visité Arles, la logique veut qu'il y soit passé, sur les traces de Van Gogh et Cézanne !

 

          L'émouvant itinéraire (1901-1937) proposé par l'Espace Van Gogh pourrait se résumer par l'ascension vers la lumière et la couleur et la perte progressive des deux, par l'artiste.

          Au début de la "période française", encore très influencé. il peint des œuvres d'où ressortent tantôt l'angoisse de Van Gogh ("Autoportrait", "Olivier", "Mur", "Vent") , les contours bleus et le goût du portrait de trois quarts de Cézanne ("Portrait de Résil"), les lignes de Matisse ("Jeune fille au ruban rouge"), enfin l'épaisseur du trait de Rouault. Cependant, si toutes ces influences sont évidentes, l'artiste cherche sans cesse une expression personnelle : Dans ses mémoires, il dira : "C'est en Bretagne, à Carantec (printemps 1905) que j'ai compris comment traduire la nature par la couleur, en accord avec le feu qui brûle mon âme. Mes toiles irradiaient de couleur".

          Et c'est bien à un festival de couleur que nous assistons, une joie de peindre et un accord parfait entre celle-ci et la peinture. Installé à Murnau, près de Munich, Jawlensky produit une série de portraits dont il souligne plusieurs fois le côté sensuel, la puissance et la cohésion avec la couleur. Sa rencontre avec les Sacharoff, avec Diaghilev, lui procure de nouvelles sources d'inspiration, dont la "Danse à l’éventail" est un exemple éblouissant.

          La guerre arrive : Obligé de fuir Munich, Jawlensky se réfugie à Saint-Prex, en Suisse. Il a dû abandonner toutes ses œuvres, ses biens et son précieux Van Gogh. Nous assistons à un changement total de son travail : Les "Variations sur un paysage" vont reproduire à l'infini la scène qu'il voit de la fenêtre de la chambre où il loge. Peinture de l'exil, de la solitude, peinture de survie, "chant sans paroles", œuvre sérielle de laquelle disparaît la force de ses œuvres précédentes, et perce un langage de plus en plus spirituel.

          Revenu à Munich, en 1917, réapparaît peu à peu dans ses œuvres le visage, disparu depuis plusieurs années, un visage dont l'évolution est tout à fait saisissante. Ses Portrait (s) de Jeune fille vont être de plus en plus transcendés et remplacés par des Tête (s) mystique (s) qu’il appelle Tête(s) du Sauveur, où la géométrie devient prépondérante. Il dira dans ses Mémoires: "Après avoir peint ces Variations, j'éprouvais le besoin de trouver une forme pour le visage, car j'avais compris que la grande peinture n’était possible que par le visage humain ; que le peintre devait restituer par la forme et la couleur, ce qu'il a de sacré en lui".

          Enfin, dans la dernière partie, nous assistons à la lente marche vers la mort. Dans les "Méditations", œuvres à la limite de l'abstraction, le peintre, de plus en plus proche de sa toile, dit : "Les œuvres de ma dernière période sont toutes de très petit format, mais elles ont atteint un degré de profondeur et de spiritualité, communiquant uniquement par la couleur". De fait, le visage emplit désormais la toile, les traits sont de moins en moins marqués. Seuls subsistent le symbolisme de la Croix et les réminiscences de l'Icône miraculeuse qui, à l'âge de neuf ans, l'avait bouleversé. "Je devins malade", écrit Jawlinsky, "mais pouvais quand même continuer à peindre, bien que mes mains devinssent de plus en plus paralysées. Je ne pouvais plus tenir le pinceau d'une seule main et les deux m'étaient nécessaires. Je souffrais énormément".

          De 1934 à 1937, il peint, cependant, plus de huit cents toiles : Imagine-t-on ce qu'ont pu être les douze dernières années de la vie de Jawlensky, de plus en plus empêché de peindre par l'arthrite déformante, poursuivi par les Nazis qui lui interdisent d'exposer, confisquent ses œuvres dans les musées allemands et les présentent à la honteuse exposition de l'"Art dégénéré" !

          Remercions donc l'Espace Van Gogh qui présente cette œuvre si belle et si bouleversante.

 

    Trois remarques subsidiaires, indépendantes, mais capitales :

     1/ La Ville d'Arles qui a reçu l'an passé douze mille enfants pour l'exposition Zadkine et en attend cette année dix-huit mille, a fait un remarquable effort pour créer une approche intelligente, par les élèves, des œuvres proposées. Des dossiers très bien faits sont prévus pour les 6/13 ans, puis pour les adolescents.

D'autres villes commencent à œuvrer dans ce sens : Au-delà des volontés éparses de quelques enseignants férus d'art, aurait-on, enfin, trouvé le "chaînon pédagogique manquant" ?

 

     2/ A part moi qui étais vêtue de rouge, la foule des journalistes parisiens invités à Arles, portait des vêtements allant du bleu marine au gris clair : Symbole de la "morosité artistique contemporaine" ?

 

     3/ Regrettons que ces plus de cent-cinquante journalistes qui ont trouvé l'énergie de se lever à 5h du matin pour se rendre à Arles par avion, n'aient ni cette énergie, ni le temps, ni surtout le désir, de se rendre au Grand Palais, pour y visiter les Salons qui les sollicitent !

                                                                               Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 288 DE MAI 1993 DES CAHIERS DE LA PEINTURE.