LES CREATURES ETRANGES DE MARIE JAKOBOWICZ : SCULPTURES, POUPEES ET PEINTURES.

*****

            A tourner autour des sculptures de Marie Jakobowicz, leurs relations à d'ancestrales statuaires tribales est aussi évidente que leur polyvalence : La plupart sont bifaces, non pas janiformes mais présentant à la fois un caractère et son contraire (homme / femme ; gentil / méchant...) ou son complément (mère / fille...). Dans le même temps, elles sont individu et famille, car la poitrine ou le ventre d'un personnage est la tête d'un autre qui est ... en une sorte d'arbre généalogique conçu en rond. Elles sont, de ce fait, les paysans palabrant autour du puits creusé en leur centre par cette ininterruption des corps. Elles sont les concessions de villages, à la fois soudées par les personnages-"murs", et séparées par les trous de communication dont la fonction circulatoire de l'air et du feu change ainsi de sens et devient élément d'une ensemble totalement autarcique. Elles sont enfin, par le truchement des visages momifiés, des yeux sans paupières aux iris évidés au centre de boursouflures concentriques ; des nez aquilins busqués au-dessus de lèvres tirées vers des commissures tombantes ; et des mentons parcheminés... le réceptacle rituel du deuil. Réalisées en terre chamottée, couvertes de peintures allant du gris au blanc, ou cirées pour préserver la couleur neutre de l'argile, ces oeuvres montrent à quel point Marie Jakobowicz est concernée par le problème des origines de l'homme. En même temps, ce repli sur elles-mêmes, cet aspect tourmenté, portent violemment témoignage des réminiscences de vicissitudes affrontées du fait de ses propres origines, par leur génitrice.

"Une paradoxale errance"
"Une paradoxale errance"

            Au-dessus de ses créations pseudo-"ethnologiques", pendent d'étranges poupées auxquelles il ne manque que des aiguilles pour être vaudoues, des amulettes pour être effigies incantatoires ! A la fois laides et fascinantes, loques et sophistiquées, mal cousues et brodées, elles sont constituées de tous les cadeaux offerts au fil des ans, à Marie Jakobowicz : tissus, dentelles, chapeaux, colliers... Elles sont la mémoire immédiate de l'artiste, détentrices de petits moments de vie, de menus bonheurs, et le lien entre ses sculptures et ses peintures.

"La Vénus violée"
"La Vénus violée"

            Etranges, ces peintures, faites de personnages humanoïdes qui, semblables à de lointains Aliens, provoquent chez le spectateur une attirance effrayée. Ce goût du peintre pour une oeuvre fictionnelle lui permet d'appréhender des "cultures" plus fantastiques que celles proposées par ses sculptures ; dédramatiser ses problèmes personnels ; affirmer que ses créatures sont non pas issues d'une trop autobiographique page d'histoire, mais bien des zombies émergeant de leurs tombes lors de "La nuit des morts-vivants". Et c'est une prouesse et un paradoxe de peindre dans des couleurs saisissantes ces étranges incubes à la fois morbides et inoffensifs, vers lesquels la surprise passée, constatant que leurs grands yeux globuleux sont plus tristes qu'inquiétants, le visiteur a envie de revenir.

            Disposés ainsi que des fidèles autour d'un totem, ils reconstituent les schémas familiaux, essayant parfois d'échapper à l'emprise du groupe, mais lui appartenant biologiquement et socialement, par une volonté de l'artiste de les peindre solidaires, soudés dans une continuité, mus par un même élan. Seuls pourtant, de par leurs anatomies avortées. Chevelus s'ils appartiennent aux conquérants ; de plus en plus dépourvus de cheveux à mesure qu'ils perdent leur force de vie ; jusqu'à être tout à fait chauves lorsqu'ils partent vers les limbes : jouant les Dalila, Marie Jakobowicz domine parfaitement la théâtralité des chevelures qu'elle assimile à des membres. Elle joue les démiurges, également, en donnant vie à partir de bras et de jambes volontairement tronqués, à de nouveaux personnages issus de ces appendices. Elle prive enfin de morbidesse ces hybrides imparfaits, en les élaborant avec sa propre main chargée de peinture, les cernant pour les faire ressortir à l'avant-scène de sulfureux rougeoiements ou de gris nostalgiques.

Sculpture recto et verso
Sculpture recto et verso

            Décidément, sculptures, poupées ou peintures, le monde de Marie Jakobowicz est un creuset où fusionnent civilisations improbables et rêveries cosmiques ; où s'affirment sa quête de l'essentiel en des créations dépourvues de pieds mais solidement ancrées dans l'argile par le biais de ses référents terrestres ; et son besoin de racines qu'elle édifie en permanence, tout en continuant à les chercher en une paradoxale errance.

                                       Jeanine Rivais

Venue au monde dans une période très difficile de la vie de ses parents, l'enfant est plutôt mal acceptée par sa mère qui, à cause d'elle ne peut plus travailler. Elle ne deviendra "Marie", une personne à part entière, que lorsque son père sera envoyé en camp de concentration, le 28 juin 1942. Elle ne le reverra jamais et n'apprendra que très longtemps après la date probable de son décès.

                Marie Jakobowicz a écrit une biographie très douloureuse, narrant les épisodes de la vie de sa mère, publiée par "L'Amateur" d'Alain et Blanche-Marie Arnéodo.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 57 D'AVRIL 1996 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.