LE DESTIN ENCHANTE D’AHMED HAJERI, peintre.

Entretien avec Jeanine Rivais.

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         Jeanine Rivais. : Ahmed Hajeri, vous êtes tunisien : Parlez-nous de votre enfance.

            Ahmed Hajeri : J’ai eu une enfance assez courte et dure. Je suis né en 1948 dans un petit village au nord de Tunis. J’étais un enfant orphelin, et jusque vers sept ans, un enfant de la rue. Nous étions cinq enfants avec une mère sans aucune ressource, qui, pour un franc par jour, travaillait chez des gens. Nous n’avons en fait jamais connu le bonheur. J’avais à peu près dix ans quand ma mère a réussi à me placer avec deux de mes frères, dans un centre de bienfaisance, c’est-à-dire une sorte d’orphelinat, situé à Carthage, dans les faubourgs de Tunis. Bien sûr, elle ne l’a pas fait de gaieté de cœur, mais pour nous protéger. J’ai donc pu fréquenter l’école. Mais je n’étais pas du tout un enfant brillant ; et comme nous étions d’un milieu tellement modeste, personne ne pouvait m’aider. Pourtant, une fois à l’orphelinat, j’ai pris conscience de bien des choses, et j’ai eu envie de “réussir”. Cette prise de conscience a été le début d’une grande souffrance : je me voyais laid ; je savais que j’étais ignorant ; je constatais que je n’avais aucune mémoire, que je n’arrivais pas à apprendre et à retenir les leçons, que je n’étais même pas doué en arabe surtout pour les dictées ! J’étais le dernier de la classe... Et puis je suis entré dans un Centre Professionnel français. Cela m’a comblé de joie, car mon seul désir était d’apprendre un métier. J’ai obtenu mon CAP. Puis je suis allé dans un Collège Technique, mais je n’ai pas réussi les examens. J'ai donc quitté ce collège, j’ai commencé à faire des stages. Enfin, je suis allé comme moniteur, enseigner l’électricité dans un centre. Et, chose surprenante, je suis devenu dessinateur dans un bureau d’études à Tunis. Je comprenais très bien les problèmes relatifs à l’électricité ; et j’ai donc pu commencer à travailler. C’est à ce moment-là que j’ai songé à venir en France.

 

        J. R. : Avant d’aller plus loin, je voudrais que vous décriviez votre petite enfance, le temps pendant lequel vous viviez avec votre mère. Puis votre vie à l’orphelinat. Ces deux “périodes” me semblent essentielles, et peuvent peut-être expliquer votre grande envie de partir ?

            A. H. : Mon père est mort alors que j’étais tout petit. Mes parents avaient l’habitude de faire du troc avec les gens des villages de montagne. Ils apportaient du linge ou des bijoux, et ils revenaient avec des poules, des œufs, du grain, etc. En été, bien sûr, ils faisaient des réserves pour l’hiver.

            Par ailleurs, mon père était tisserand. Il a eu un accident. Il est allé vivre ailleurs un moment. Ma mère a repris l’habitude de mon père de se rendre dans les villages, mais la vie était de plus en plus difficile. Elle a donc commencé à travailler chez des gens pour pouvoir nous nourrir. Elle savait faire des gâteaux délicieux. Elle était un peu la conseillère de tout le village.

            Quant à moi, soit je me sauvais de la classe pour faire l’école buissonnière, soit je faisais des travaux pour des gens. Mes frères aînés également. Je n’ai donc pas eu une enfance joyeuse, nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour jouer. D’autant que, ma mère voulant être sûre que nous étions honnêtes, nous enfermait dans la maison, quand elle ne pouvait pas contrôler où nous étions !

            Heureusement, il y avait tout près de chez nous, une vieille femme, qui avait l’habitude de nous raconter des histoires. Nous, les enfants, nous l’adorions tous, nous nous disputions pour aller coucher chez elle ! Elle était en fait notre cinéma oral !

 

        J. R. : Toutes ces années après, diriez-vous que c’est cette vieille femme qui vous a influencé, qui a formé votre goût du merveilleux que l’on retrouve dans vos toiles ?

            A. H. : C’est très possible ! Voici par exemple une anecdote dans le genre de celles qu’elle nous racontait : Les paysans, dès que c’est réveillé, c’est menteur et c’est bête. Il y avait une fois un paysan qui entendit par hasard devant la maison où il travaillait, des voleurs en train de préparer un plan pour voler ses bêtes ! Il s’approche d’eux, une petite patte séchée, un genre de grigri, à la main. Il déclare : “C’est moi qui vole !”. Et il se sauve. Les voleurs s’étonnent, ils essaient de le frapper à coups de pierres. Le paysan rentre dans la maison, et il crie : “Est-ce que j’amène le plus grand ou le plus petit ?” Le maître de maison sort de sa chambre, cherche partout, ne trouve personne. Dérangés, pris de court, les voleurs pressés et inquiets prennent n’importe quelle bête, et s’en vont plus loin pour l’égorger, bien décidés à ne donner au paysan intrus qu’une part toute petite de leur butin. Mais au moment où ils s’apprêtent à égorger la bête, le paysan se met de nouveau à crier : “Ce n’est pas moi ! Ce n’est pas moi !” Effrayés, craignant de voir arriver les villageois, les voleurs s’enfuient, lui laissant la bête ! Vous pensez que ce genre d’histoire nous amusait beaucoup !

         J. R. : Revenons à votre projet de quitter la Tunisie : A dix-sept ans, vous mettez ce projet à exécution : comment organise-t-on son départ, lorsqu’on est un adolescent mineur dans un village tunisien, sous un régime très strict ?

            A. H. : A dix-sept ans, je n’étais plus au village : j’habitais à Tunis. Mais quelque chose me tracassait beaucoup : ma sœur parlait de se marier, et elle ne possédait aucun bijou en or. Vous savez, là-bas, seuls les gens très pauvres ne possèdent pas, lors de leur mariage, de bijou en or ! Et ma mère n’avait absolument pas les moyens de rien acheter . Alors, dès que j’ai commencé à travailler, j’ai amassé un peu d’argent. J’ai acheté une vache à ma mère, et avec mon premier salaire, j’ai offert un bijou à ma sœur. J’ai donc fait passer ma famille d’abord, et il me restait environ l’équivalent de six cents francs.

           

        J. R. : Je suppose que vous ne disposiez pas de beaucoup d’appuis, pour préparer ce voyage ?  Comment s’est organisée ce départ ?

            A. H. : A l’époque où je préparais ce stage pour devenir moniteur, les autorités m’ont fait un passeport pour que j’aie le droit de circuler dans le pays. Un jour, je suis allé voir les responsables de l’administration, parce que tous ceux qui avaient fait ce stage devaient partir en faire un autre de perfectionnement en Italie. Je n’avais aucune envie d’aller en Italie. Je voulais venir en France. Il faut dire qu’une grande partie de la classe était des Français. Même si je parlais mal la langue, j’aimais le son du mot “France”, et j’avais l’impression que sa culture me plairait. Je commençais à réfléchir à ce pays, et j’ai refusé d’aller en Italie.

            Sous prétexte que j’avais de l’argent à retirer, j’ai réclamé mon passeport à l’administration. Avec le passeport, je me suis organisé en un mois, et j’ai pris le bateau... Mais je ne suis pas parti clandestinement, ma tante m’a accompagné jusqu’au port. La seule décision définitive et brutale était que je partais définitivement, que je ne reviendrais pas en Tunisie tant que je n’aurais pas fait fortune !

 

      J. R. : Et, d’un monde désuet et traditionnel, vous vous retrouvez plongé dans le bouillonnement de la ville de Lyon : Racontez-nous votre épopée.

            A. H. : Je connaissais un Algérien qui vivait à Lyon. Convaincu qu’il se ferait un plaisir de m’accueillir, j’ai débarqué chez lui, sans l’avoir prévenu ! Nous étions alors au mois d’août 1968 ! Tout le monde parlait des événements qui se déroulaient encore en France ! Et moi j’entendais sans comprendre : 68... 68... Je me suis donc trouvé à dix-sept ans à Lyon, alors que la crise sociale n’était pas résolue ! Je me suis renseigné, et j’ai pris un bus pour aller chez cet Algérien, sûr qu’il allait m’accueillir à bras ouverts ! Vous devinez son étonnement. Mais il est vite devenu évident qu’il n’était pas du tout content de me voir débarquer chez lui ! Moi je ne connaissais pas la mentalité d’ici, je croyais que les choses se passaient comme dans mon village où l’on peut arriver sans crier gare et être reçu comme un membre de la famille ! Il m’a finalement gardé deux jours. J’avais très peu d’argent, pourtant j’achetais de la nourriture , et il mangeait tout ce que j’achetais. Il m’a donc fallu aller à Lyon. Vous devinez que j’étais triste, et que je ne comprenais pas ce rejet. J’ai dormi une nuit à l’hôtel ; mais je voyais bien que je ne possédais presque plus rien. J’ai commencé à parler à tout le monde dans la rue, mais personne ne s’intéressait à moi. Finalement, j’ai dormi pendant quinze jours sur des bancs, et j’ai commencé à penser au suicide. Je vivais quotidiennement d’un pain et un kilo de poires ! J’essayais de me laver dans les toilettes publiques, et le soir j’allais dormir dans des parcs ou sous les ponts.

 

         J. R. : Et qu’est-ce qui vous a empêché de vous suicider ?

            A. H. : Un jour, je m’étais affalé sur un banc, et je m’étais mis à pleurer. Il y avait des rafales de vent, et une pluie battante. Quelqu’un s’est approché de moi et m’a parlé. Un jeune comme moi qui me parlait en arabe. Mais, échaudé par ma déception d’avoir vu cet Algérien qui ne voulait pas m’aider, je ne voulais pas lui parler. Malgré tout, j’ai fini par répondre à ses questions : c’était lui aussi un Tunisien, de passage à Lyon avec un curé. Il cherchait lui aussi du travail, il connaissait les endroits où chercher. Le soir, nous avons retrouvé le prêtre. Comme je lui ai fait bonne impression parce que j’étais poli et que je parlais le français sans vulgarité, il a décidé de m’aider : il m’a emmené dans un centre d’hébergement. Le lendemain très tôt, il est venu m’appeler, et tous trois nous sommes partis pour Hyères. Il nous a emmenés dans un centre du Secours Catholique. Rétrospectivement, je me rends compte combien j’étais pauvre et innocent, j’embrassais tout le monde, je croyais que j’étais enfin dans une vraie maison, etc.

         J. R. : Vous avez quitté Hyères pour Paris ?

            A. H. : A Hyères, je suis tombé paralysé ! Je pense que c’est le froid des jours précédents, ou l’angoisse dans laquelle j’avais vécu, en tout cas me voilà avec de graves problèmes de santé. Le prêtre voulait m’envoyer à Paris, pour y recevoir des soins importants. Finalement, j’ai été soigné à l’hôpital de Marseille, j’ai commencé à aller mieux. Et dès que j’ai pu m’organiser de nouveau, j’ai cherché du travail, on m’a aidé à trouver des papiers. J’ai réalisé à ce moment-là qu’il y avait vraiment de braves gens, prêts à aider les autres ! Ils m’ont sorti de mes problèmes. J’ai travaillé à installer des pylônes, etc., mais j’étais sans doute fragilisé par les problèmes que je venais de traverser et je n’arrivais plus à supporter un travail aussi dur ! Je voyais des annonces dans des “boîtes intérimaires”, mais j’ignorais le sens du mot “intérimaire” ! Finalement, j’ai téléphoné, et on m’a proposé un travail à Grenoble. J’ai quitté la chambre agréable que je louais alors chez des gens, et je suis parti. De Grenoble, on m’a proposé un travail à Lille. Le patron était supposé m’emmener en camion jusqu’à Paris, d’où je prendrais un train pour Lille où se trouvait le chantier. En cours de route, il a eu un accident, il a été tué sur le coup et je me suis retrouvé dans un hôpital de la banlieue de Paris. A ma sortie de l’hôpital, j’ai trouvé une chambre dans un centre d’hébergement du Deuxième arrondissement, et étant allé voir le chantier de Lille qui ne fonctionnait plus à cause de la mort du patron, je suis revenu à Paris où je me suis de nouveau mis en quête d’un travail ! Finalement, j’ai trouvé un travail à Courbevoie, où je suis resté jusqu’en 1974. Les choses commençaient à s’arranger. Et un jour, je vois une annonce : “Recherche dessinateur qualifié. Débutant accepté”. J’ai répondu et j’ai été embauché. J’ai su par la suite qu’il s’agissait de l’architecte lauréat du Centre Pompidou, et plus tard encore qu’il était l’architecte de Jean Dubuffet...

 

         J. R. : Oui, mais suivons l’ordre chronologique. A ce moment-là vous ne savez rien ni du Centre Pompidou, ni de Jean Dubuffet. Vous êtes simplement un ouvrier qui veut changer de travail ?

            A. H. : Oui, bien sûr. Il m’a reçu à l’endroit exact où nous sommes en train de réaliser cet entretien. Je lui ai expliqué que je n'étais pas très brillant, mais que j'étais docile, que j’avais conscience d’être très loin de l’architecture, mais que je lui promettais de faire ce qu’il me demanderait. Au bout d’un mois, tout allait bien, je quittais l’usine à cinq heures et je venais ici quelquefois jusqu’à huit heures ! Un jour, j’étais vraiment fatigué. Et je me suis assoupi, le crayon continuait les traits par la seule force de l’habitude. Monsieur Morand est entré. Sans réfléchir, j’ai jeté la feuille dans la poubelle. Il a soupçonné que quelque chose n’était pas normal dans cette attitude. Il l’a prise et l’a emportée dans son bureau. Au bout d’un moment, il revenu avec la poubelle et m’a dit : “Ahmed, je n’aime pas les gens malhonnêtes ! Tu sais que je te paie pour faire ton travail, non seulement tu ne le fais pas, mais en plus tu fais un très beau dessin et tu le jettes ! Alors, voilà un carnet, tu dessines ce que tu veux là-dessus en dehors de tes heures de bureau, et moi je te l’achète ! Et puis, je vais le montrer à des gens, en particulier à Jean Dubuffet”. Je m’étais attendu à ce qu’il me renvoie, et je ne comprenais absolument rien à ce qui se passait. Mais cela a été le déclic ! Et j’ai commencé à dessiner régulièrement.

        J. R. : C’est sans doute à ce moment-là que vous vous êtes rendu compte qu’il n’était pas n’importe quel architecte. Est-ce également à cette époque que vous avez-vous pris conscience que les djinns vous protégeaient, et que votre destin était véritablement enchanté ?

            A. H. : Oui un peu ! Mais j’étais surtout perplexe, ne comprenant rien à ce qui m’arrivait, ni qui étaient ces gens dont il me parlait ! Il a commencé à en faire venir ici, pour leur montrer mes dessins. Un samedi, il m’avait dit de venir (quand je venais en dehors des heures convenues, il me payait toujours mes heures). J’ai cru que nous allions travailler ici toute la journée, mais vers huit heures, nous avons pris le train pour aller en banlieue. Nous allions en fait visiter la Villa Falbala(¹). Vous savez, les plans sont encore ici, chez moi ! Tout à coup, j’ai aperçu un petit bonhomme sans un cheveu sur la tête, la bouche très grande, qui s’approchait de nous. Il m’a dit : “Mon enfant, fais-nous confiance, nous allons nous occuper de toi...”. J’étais toujours aussi perplexe. J’ignorais absolument tout sur l’art. Le nom de Dubuffet m’était complètement inconnu. Je croyais qu’il s’agissait d’un commanditaire pour M. Morand !

            Quand mon premier carnet a été plein, M. Morand m’a donné l’équivalent de mille francs actuels. J’étais aux anges, et à l’usine je riais en racontant cela ; et tout le monde proposait de dessiner avec moi !

            J’ai fait plusieurs carnets, des plus grands, et M. Morand m’a acheté des crayons de couleurs. Un autre samedi, il m’a emmené “voir des galeries”. Pour moi, ce n’étaient que des salles avec des tableaux suspendus aux murs ! Et je ne comprenais toujours pas ses motivations. Il me parlait, m’expliquait ce qu’il fallait voir, et moi j’étais là, muet, à le suivre. Une autre fois, il m’a emmené dans un musée, voir des oeuvres de Bonnard, etc. Quand j’ai eu plusieurs carnets pleins, diverses personnes sont venues pour les voir. M. Morand les montrait à tous ses amis.

            Le 4 avril 1974, il m’a proposé de quitter l’usine. Et c’était grave pour moi. J’ai réfléchi. Il m’a remmené chez Dubuffet qui m’a dit : “Mon gosse, on va maintenant s’occuper de vous officiellement. Laissez-vous faire ! M. Morand saura le faire parfaitement !”

            Voyant mon inquiétude, celui-ci m’a assuré qu’“avec Jean”, il allait me prendre en charge. Il m’a promis soit de me signer un contrat, soit de me payer un peu plus que ce que je gagnais à l’usine. Et il a ajouté que le matin, je travaillerais avec lui à ses dessins d’architecture, et l’après-midi, je ferais de la peinture. Imaginez mes interrogations : de la peinture, quelle peinture ? J’avais commencé dans son cabinet à apprendre un peu l’architecture. Mais la peinture... Il m’a fallu plusieurs semaines pour réfléchir à tout ce qu’il me disait, et puis j’ai décidé d’accepter pensant que si les choses tournaient mal, comme je suis sérieux, je serais toujours capable de trouver un autre emploi. J’ai mis mon frère à ma place, et j’ai démissionné. C’était le 4 avril 1974, le jour de la mort du Président Pompidou !

            C’est donc ce jour-là que j’ai été officiellement embauché par M. Morand. Il m’a apporté des supports, des sortes de planches en liège, m’a acheté des fournitures, m’a montré comment il fallait s’en servir, et j’ai commencé à essayer de peindre.

           

         J. R : Avant que nous continuions à évoquer votre travail de peintre, je voudrais que nous revenions à quelque chose de plus personnel : Je crois que vous avez fondé un foyer ? A quel moment ? Et quel rôle votre famille a-t-elle joué dans l’évolution de votre carrière ?

            A. H. : Ma famille a été fondée en 1976. J’avais déjà peint de nombreux tableaux. Je commençais à en vendre, en deux ans c’était déjà bien lancé.

            Ma mère voulait que je fonde une famille, je suis donc rentré en Tunisie pour me marier. J’habitais alors à Aubervilliers, je venais tous les matins travailler pour le cabinet, et l’après-midi, j’étais libre pour peindre. A la mort de M. Morand, j’ai racheté cet atelier. Et les autres dessinateurs sont partis dans les étages. J’ai racheté aussi l’ancien cabinet d’architecture. J’avais des tableaux partout ! Mon premier enfant est né en 1979, peu de temps avant la mort de M. Morand. L’autre est né plus tard.

 

        J. R. : Parlons maintenant de quelque chose que vous semblez incapable de vous empêcher d’évoquer sans arrêt : le début de ce que vous appelez “l’officialité”.

            A. H. : Comme vous le faites aujourd’hui, des gens ont commencé à venir voir mes tableaux. Mais au début, j’étais fâché, parce que je croyais que M. Morand me montrait comme un phénomène de foire. Je ne comprenais pas pourquoi ces gens voulaient voir mes peintures ?

 

        J. R. : Qu’est-ce que vous dessiniez sur ces tableaux ?

            A. H. : Je dessinais ce que je voyais, par exemple une gondole lorsqu’il m’avait emmené à Venise, car lui et ses amis m’emmenaient partout ! Tous les matins, il me faisait faire un quart d’heure de langage. Il commençait à m’apprendre l’histoire de l’art. Franchement, je n’appréciais pas beaucoup toutes ces sorties, mais comme je travaillais pour lui, je pensais que cela faisait partie de mon travail ! Même après mon mariage, il a commencé à nous emmener tous les deux. Il me montrait tout ce qui se rapportait à l’art, mais moi je restais encore à la traîne ! J’avais toujours le sentiment de ne pas être à ma place. J’étais toujours vexé pour ceci ou pour cela ! Et ces gens qui venaient me voir m’agaçaient parce que je ne savais pas qui ils étaient ! Jeanne Bûcher ! On parlait d’elle avec beaucoup de respect, mais pour moi j’ignorais qui était cette dame ! Et un autre, qui voulait m’exposer ! J’étais fâché, parce que quand quelqu’un venait, M. Morand parlait de moi avec cette personne, et moi j’étais là sans prendre part à la conversation. J’entendais le visiteur dire : “Quand je vois un gosse peindre de cette manière, c’est comme un Picasso !” Clara Malraux est venue aussi, mais j’ignorais qui elle était ! Le directeur du Musée des Arts décoratifs, celui de Beaubourg sont venus, etc. M. Morand les connaissait tous, il avait été l’un des premiers lauréats pour la construction de Beaubourg, il avait beaucoup travaillé pour Jean Dubuffet… Et moi, je devais suivre. Certes, je l’écoutais me raconter des histoires de peintres, parce que j’aime les histoires orales ; mais s’il me donnait un livre, j’étais incapable de le lire...

        J. R. : En somme, vous écoutiez défiler votre vie comme si c’était un conte de fée ?

            A. H. : Sans doute ! Parce que j’aime les histoires. Et j’ai une mémoire infaillible pour tout ce qui est oral, alors que je suis incapable de retenir ce que je lis ! C’est sans doute la conséquence de mes difficultés en classe !

 

        J. R. : Donc, M. Morand avait complètement pris en main votre destin. Mais en ce qui vous concerne, aviez-vous pris conscience que dessiner n’était plus un passe-temps ? Et que vous aviez en fait commencé “une oeuvre” importante ?

            A. H. : Non, pas du tout ! La seule chose qui comptait, c’était qu’il me paie ! Mais je faisais absolument ce que je voulais. Le matin l’architecture, et puis, selon mon humeur, je peignais une heure, un après-midi... et si je le souhaitais, je m’en allais jouer au ballon !

            En fait, j’ai commencé à comprendre ce qu’on attendait de moi, après la mort de M. Morand. Je n’ai rien compris de ce qui se passait, lors de la première exposition, à la galerie Messine. Je devais exposer chez Jeanne Bûcher. M. Morand avait fait un dossier pour la FIAC 78. Et il l’a montré à Claude Bernard qui n’a pas été intéressé ; à plusieurs galeries qui ont beaucoup aimé, mais il est allé vers celle qui exposait Gaston Chaissac. Il y avait là une Américaine, Jennifer, qui plus tard m’a confié que sa famille possédait une collection immense. Ce galeriste a décidé de m’exposer immédiatement. Et l’exposition a eu lieu en avril. Mais il avait entre temps acheté toute l’exposition. Aucune toile n’était donc à vendre. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de monde au vernissage. J’étais très étonné, parce qu’on m’avait fait faire un costume, et je me demandais pourquoi on avait emporté toutes mes peintures de l’atelier sur les murs de ce lieu inconnu ! Même lorsque M. Morand m’a donné un chèque énorme, et qu’il avait l’air si fier, si heureux dans sa vie, je restais complètement hors de ces démarches. Entre temps, j’avais appris qu’il s’était fâché avec Jean Dubuffet à cause de moi ! Dubuffet ne voulait plus me voir, depuis que j’étais rentré à la galerie Messine. Il m’avait envoyé un petit mot pour me dire qu’il n’y avait plus rien entre lui et moi ; que mes dessins étaient bien mais que cela ne l’intéressait plus !

            Pour en revenir au chèque que m’a remis M. Morand, je n’avais jamais gagné une telle somme ! Il m’a dit qu’il fallait que je m’ouvre un compte dans une banque ; que j’achète une maison, et il m’a dit : “Ahmed, puisque tu commences à réussir, il faudra que chaque année, tu me donnes un tableau ! Cela fera partie de notre contrat”. Malheureusement, il est mort peu de temps après. Entre temps, le directeur de la galerie Messine était devenu très discret, je crois qu’il pensait que c’était M. Morand qui faisait ma peinture. Mais en 82, quand il a organisé ma deuxième exposition, il était très heureux parce que toute l’exposition a été vendue très vite. C’est là que j’ai commencé à voir dans les journaux des critiques sur moi ; que j’ai commencé à gagner de l’argent. Et à méditer tout cela ! Je me suis dit : “Maintenant, M. Morand est mort. Et je crois que mon destin et de peindre !” Désormais, c’était moi qui devais prendre mes décisions tout seul. J’étais devenu l’homme qui devait continuer tout seul sa route !

 

        J. R. : Vous voilà donc plongé dans un monde très officiel ! Vous voyez les peintures d’autres artistes. N’avez-vous jamais été tenté de quitter cette peinture à cheval entre une tradition ancestrale et une culture que vous avez acquise, une culture occidentale ; pour faire ce qui était à la mode à ce moment-là, à savoir un art complètement mondialisé ?

            A. H. : Depuis toujours, quand je vois des expositions, et que je rentre ici, je me sens soulagé. Car en fait, c’est maintenant que j’analyse tout ce que m’a appris M. Morand, que je réfléchis sur la peinture que je vois ailleurs ! Et quand je rentre, je me retrouve en pleine sérénité, parce que je me rends compte que ce que je peins est fait de rêve ; et n’a rien à voir avec ce qui se fait dehors. Petit à petit, j’ai gagné une grande confiance en moi. Je me suis rendu compte que mon travail ne ressemble pas du tout à ce que font les autres ! Que j’ai une peinture complètement à part. Je suis complètement bloqué devant les tableaux que je vois à l’extérieur. Et je sais maintenant que si je retrouvais sur les miens ce que j’ai vu au-dehors, je l’enlèverais immédiatement ! J’ai compris et je connais l’histoire de Matisse, Picasso, Chagall... Mais je n’ai aucune envie de les imiter ; j’ai conscience depuis quelque temps déjà que j’ai une culture brute et directe, et que je dois garder ma personnalité !

        J. R. : Quand je vous écoute, je me rends compte combien vous avez été marqué par cette ascension sociale, dont vous êtes l’acteur sans qu’au fond vous en ayez été l’auteur : Comment un garçon tout simple, d’origine modeste, perdu dans une civilisation quasiment inconnue, vit-il la rencontre avec des gens célèbres, trouve-t-il finalement tant de plaisir à les côtoyer ?

            A. H. : Au début, je ne faisais pas la différence entre eux et les gens avec qui je travaillais. J’ignorais qu’une princesse ou un ministre m’achetaient un tableau ! Cela me donnait une sérénité, parce que je n’avais aucune conscience de leur importance sociale ! C’est plus tard, quand des journalistes ont commencé à écrire sur moi, des galeries célèbres à m’exposer ! J’ai commencé à me dire que s’ils écrivaient des choses aussi élogieuses, s’ils accrochaient pendant plusieurs semaines mes oeuvres sur leurs murs, il devait bien y avoir une raison ! C’était comme d’analyser un rêve ! Analyser sans rien changer à ma vie ! C’est une période passée, et aujourd’hui, je suis devenu un peintre ! J’essaie de me concentrer ! Je ne dirai pas que je suis devenu célèbre, et si cela était, je refuserais une vie de papillon que pourrait me procurer cette célébrité : j’ai commencé avec toute mon innocence, et je n’ai qu’une envie, la conserver ! Il y a au-dehors des choses qui me choquent, que je serais incapable d’imiter. Je peins toujours avec une grande simplicité ! C’est difficile pour moi d’expliquer qu’à cinquante-deux ans, je suis partagé entre la conscience que mes peintures sont parties à travers le monde, et mon désir de rester quelqu’un de tout simple ! Où sont toutes ces oeuvres, pourrait-on me demander ? Elles sont parties chez des gens connus, ce qui prouve qu’elles ne les laissent pas indifférents ! Mais heureusement, il y a aussi des gens qui ne le sont pas et qui aiment aussi mes oeuvres ! Peut-être parce que chaque fois, c’est une histoire ? Avec une sorte de rêve qui s’en échappe ? Une sorte d’harmonie ?

 

        J. R. : Venons-en donc à cette création : Quels que soient les événements qui adviennent dans votre vie, vous continuez de peindre une oeuvre qui est à la fois l’évocation du monde de votre enfance ; et celui de votre nouvelle vie...

        Avez-vous conscience de cette double influence ? Et comment l’analysez-vous ?

            A. H. : Oui, bien sûr. Il faut faire, comme l’a dit le Douanier Rousseau, une oeuvre qui touche le monde ! Quelques oeuvres importantes ont marqué sa carrière. Moi, je peins avec bien sûr le sentiment que je vends beaucoup ; que des gens m’ont fait confiance. J’aime beaucoup rêver, j’aime beaucoup écrire. J’aime beaucoup le monde onirique. Je n’aime pas les choses superficielles, j’aime écrire une histoire où entrent des éléments que nul ne parvient à saisir : la femme qui vole, la lampe qui refuse de s’allumer... Quand je peins une toile, je le fais pour moi. Et quand ce que j’ai peint me donne le plaisir et la certitude d’avoir mis dedans toutes sortes d’idées sorties de mes rêves, je sais qu’elle ne laissera pas les gens indifférents !

 

        J. R. : Dans chacune de vos oeuvres, se distinguent trois parties : l’une arabisante, l’autre occidentalisée, et entre les deux, des passages informels, on pourrait presque dire abstraits qui pourraient être des tapis, des rideaux, etc. Mais qui ne sont pas, contrairement aux deux autres plages, peints de façon à être parfaitement définis : à quoi correspondent ces plages ?

            A. H. : Aujourd’hui, je suis Hajeri. Je suis arabe. Je suis musulman. Mais tous ces éléments de mon enfance demeurent en moi de façon indélébile. Par ailleurs, on peut dire que j’ai une culture occidentalisée : tout jeune, je suis allé à l’école française. Je suis venu adolescent en France ; et même si je ne suis pas français, je vis depuis plus de trente ans ici. Je n’étais pas du tout artiste, mais grâce à Dieu, je le suis devenu. J’aime beaucoup le rêve. Même à l’orphelinat, mes copains se moquaient de moi, parce que je m’installais au milieu de l’eau sur un rocher, et je rêvais. Je disais de la poésie en arabe. D’ailleurs, je l’oubliais très vite, mais les autres enfants croyaient que j’étais un peu fou ! J’oublie beaucoup de choses, mais il m’est impossible d’oublier les contes de mon enfance, le poisson avec des pieds, le cochon qui chante, etc. Et bien sûr, même les pieds ont des yeux, il y a des rapports entre toutes les parties du corps. Et chaque fois, en effet, ce tapis, que j’appelle “le fou qui parle”, et qui sert de point d’appui à tous les éléments du tableau...

        J. R. En somme cette partie informelle serait l’éternel balancement entre vos deux cultures ?

            A. H. : Ce serait une bonne définition. Il est vrai que chaque fois, je me trouve confronté à ce déséquilibre, à cette folie, et à ma place, c’est le fou qui parle... Je ne sais d’ailleurs plus d’où m’est venu cette expression ?

 

        J. R. : Voici maintenant une question un peu perfide : Vous appartenez incontestablement au monde de l’Art singulier. Néanmoins, vous exposez souvent dans des lieux qui sont rattachés de près à l’officialité. Comment conciliez-vous ces deux démarches ?

            A. H. : Actuellement, mon oeuvre est beaucoup appréciée en Tunisie. Mon arrivée a constitué là-bas une sorte de naissance de la peinture, parce que la plupart des artistes qui y créent réalisent des oeuvres rationnelles, décoratives, etc. Je ne savais pas tout cela, avant d’y exposer. J’ai maintenant compris que l’on s’intéresse à mon travail parce qu’il est porteur des influences que nous venons d’évoquer.

            Dans le même temps, je suis très proche de l’Art singulier. C’est pourquoi je suis souvent invité pour ce genre de manifestations. Mais Jaber, Chaïbia, etc. sont différents d’Hajeri. Un critique a dit de moi que je faisais “de la peinture douce”.

            Mais finalement, ma peinture se vend dans toutes les couches de la société. Vous-même, vous vous y êtes intéressée, dites-moi pourquoi ?

           

        J. R. : J’aime votre travail pour sa fraîcheur et sa naïveté ; parce que vous avez une façon bien à vous de “ne pas savoir peindre” ! Bien sûr cela n’a rien de péjoratif ! D’autant qu’à partir de cette absence de savoir-faire, vous créez des oeuvres tellement personnelles qu’elles en deviennent attachantes ! Par ailleurs, cette déformation que présentent tous vos personnages, ici un bras trop long, là une hanche fausse, ailleurs autre chose vous appartenant en propre et rendant vos oeuvres immédiatement reconnaissables ! En fait, vous ne respectez aucune des règles que l’on enseigne dans les écoles d’art : pas de perspective, pas de proportions !

            A. H. : C’est vrai que je ne connais aucune règle pour “bien peindre”. Mais ce qui me fait le plus plaisir, c’est que tous les journalistes qui parlent de mon travail l’aiment pour des raisons différentes : l’un parce que c’est naïf ; l’autre jure que c’est de l’art brut. Non, dit l’autre, Hajeri a une technique très élaborée… Mais tout ceci n’est pas mon problème. Avant tout, je suis content que tous aiment mes oeuvres.

 

        J. R. : Je crois que ce qui mettrait tout le monde d’accord, serait de dire que vous êtes un créateur d’Art populaire !

            A. H. : Il me semble que oui, que ma démarche tient à une création populaire.

 

        J. R. : Parlons maintenant des dernières oeuvres que vous avez réalisées. L’une représente un couple en train de se disputer ? L’autre est une hyène en train de dévorer un artiste ?

            A. H. : Ces oeuvres-là ont été faites en rentrant de cette énorme exposition à Tunis. C’est à peu près ce que vous venez de décrire. Et je ne comprends toujours pas ce qui attire les gens dans de telles oeuvres ?

 

        J. R. : Il y a beaucoup d’humour. De plus, c’est insituable dans le temps et socialement : ainsi ce personnage peut être un riche marchand, parce que son costume est très élaboré, très orné ; mais il est nu pieds....

            A. H. : Vous avez dit quelque chose qui est très juste ; que je ne voulais pas vous faire découvrir : vous avez parlé de dispute ! C’est un riche marchand, en effet. Et cela représente mon retour de Tunisie. J’avais connu là-bas un tel succès, j’arrivais d’un monde qui n’est pas le mien : flatterie, illusion, courtoisie... Au retour je me suis disputé avec ma femme, parce qu’elle me voyait déjà au sommet de la gloire ; elle n’a pas compris que je veuille reprendre ma vie normale ! Alors, sur ce tableau, je suis certes un grand marchand ; mais je ne cours pas après l’argent. Il y a près de moi en train de me tenter, une femme avec des jupons transparents, très élégants. J’essaie de la repousser, je la supplie de me laisser avec ma bonne vie !

 

        J. R. : Voilà ! Je n’ai pas eu le temps de finir, car je voulais dire : “On pourrait d’une part penser qu’il s’agit du marchand du Temple ; mais en même temps, il y a dans cette oeuvre un côté un peu religieux, un peu moraliste : c’est la tentation à laquelle il faut résister !” Cela pourrait même être l’ermite (à cause de ses pieds nus ) qui est tenté par le diable, etc.

            A. H. : Il faut dire que je n’ai pas réussi à faire les pieds ! Quand les gens sont assis, et que je les peins de face, ils ont les pieds d’une certaine façon que je n’arrive jamais à reproduire ; alors je les fais de travers !

 

        J. R. : C’est cette attitude qui fait l’humour de votre travail ! Ce qui est intéressant, c’est que dans vos déséquilibres, vos disproportions, vous arriviez toujours à vous rééquilibrer ! A créer quelque chose qui n’est pas dans le respect de la Peinture (avec un P), mais qui par son humour emporte l’assentiment de tous !

            A. H. : De plus, cette élégance et cet érotisme ont été très agréables à peindre. En fait, cette femme aime son mari, mais ici, elle ne le considère plus comme son mari, elle croit qu’il est à tout le monde ! Au fond, elle est jalouse de sa peinture ! Il s’agit de moi, bien sûr, j’arrive ici en ne souhaitant qu’une chose : retrouver le calme ; et on m’ennuie avec des histoires de célébrité ! Des incidents comme celui-là me rappellent qu’au fond de moi je ne suis toujours qu’un petit enfant fragile. Et j’ai fait ce tableau pour exprimer mon agacement contre cette femme qui essaie de m’écraser avec ses flots de paroles !

 

        J. R. : Vous voulez dire que cette hyène dévorant un artiste, c’est votre épouse ?

            A. H. : Exactement ! Et moi, malgré la souffrance, je me cramponne à ma palette, je ne m’occupe que de ma peinture !

 

        J. R. : C’est très fort comme symbole, parce qu’en fait c’est une histoire très personnelle. Mais en même temps de tels tableaux prennent une valeur ethnologique !

            A. H. : C’est en effet une rude leçon, et Dieu sait si j’aime beaucoup ma femme ! Mais est-ce que vous me voyez, sous prétexte que je viens de faire une grande exposition qui a splendidement “marché”, en venir à snober les gens que je connais ? Me pincer le nez sur mes amis ! Et si ma femme veut me coller une étiquette parce qu’elle me voit à la télévision, elle doit respecter ma volonté de rester dans mon atelier, et recommencer à travailler ! Comprendre que la seule chose qui m’intéresse, c’est de reprendre mes pinceaux !

 

        J. R. : En même temps, ce pinceau ressemble à une flèche. Et c’est là que le symbole de la lutte intervient.

            A. H. : Moi je l’ai peint en pensant à un sexe ! J’ai peint ! J’ai peint ! C’était comme une renaissance !

 

        J. R. : La symbolique est vraiment très forte dans ce tableau ; parce que c’est votre tête -donc la partie pensante de votre individu- qui est vraiment écrasée par la bête. Mais il vous reste toujours vos pieds qui s’agitent en l’air, pour partir !

            A. H. : Pour en être venu à peindre un tel conflit psychologique, il a vraiment fallu que je sois exaspéré ! Je rentrais fourbu, ayant accepté ou refusé je ne sais plus combien d’émissions, d’interviews, il fallait savoir me laisser tranquille !

        J. R. : Revenons à l’histoire de votre carrière : à quel moment le monde arabe a-t-il découvert vos oeuvres ? Quel pays d’abord ? Et quelles ont été les réactions ?

            A. H. : Le monde arabe s’est intéressé tardivement à mon travail, vers 1985, mais maintenant les journaux écrivent sur mes expositions, la revue "Arabis" qui est connue dans le monde entier... Maintenant, tout le monde en Tunisie connaît mon nom. Je vends très bien mes oeuvres, même très grandes, quand j’expose là-bas. Et j’ai eu récemment le “Prix de la Culture tunisienne”.

 

                J. R. : Quels sont vos projets pour l’an 2000 ?

            A. H. : Je termine une immense fresque pour un Tunisien qui veut créer un grand musée d’Art contemporain dans le sud du pays. J’ai quelques projets d’expositions, de livres. Mais surtout, il faut que je travaille beaucoup. Que je m’isole complètement, pour réaliser ces projets.

           

(¹) Célèbre villa de Jean Dubuffet

CET ENTRETIEN A ETE REALISE EN 1999.