Ni peintures en relief, ni sculptures peintes, les oeuvres d’Alain Marcon sont les deux à la fois, en ce sens qu’une facture n’a pas la primauté sur l’autre ; que ces deux expressions s’élaborent simultanément, se complètent, s’interfèrent. Non pas en ronde bosse, mais sortes d’incrustations taillées dans la masse sans souci de proportions ; où la gouge et le pinceau ont patiemment marqué le matériau, en ont suivi les veines, joué des colorations, contrarié ou accentué les brillances ou les matités, créé des moments psychologiques au gré des humeurs de l’artiste.         

          De cette démarche, émergent des villes-créatures ;  des personnages-villages ; des tours de Babel agrippées à des flancs de collines ou des hanches d’hommes ; sortes d’habitacles dans lesquels s’installent des “vies” : il faudrait dire plutôt, surgissent des fantasmes ; s’effilochent des lambeaux de souvenirs ; s’élaborent des rencontres ; s’imprègnent des témoignages... Car ces foules cernées par les muscles d’un bras ; ces nuages installés dans la tête d’un promeneur ; ces verres de l’amitié tenus par la main d’une paysanne portant dans sa poitrine sa campagne... sont autant d’errances mentales ; de chagrins et de deuils ; d’amours et d’espoirs... retenus comme des rêves obsédants dont la rémanence donnerait à l’artiste le temps de les fixer en couleur dans le bois. Des ajouts de bras, de têtes ; des feuillages rivetés sur des corps ; des mains émergeant de jambes ; des oiseaux, des livres “sortant” d’un sein ou d’un ventre ; des enfants tapis dans les anfractuosités d’un genou... multiplient les plans ; créent comme au théâtre différents angles d’observation ; amorcent, sans symétrie, un retour vers le verso de l’oeuvre où se prolonge ; s’oppose ; rebondit l’état d’âme du sculpteur ! Ici, des ocres soulignent une expression énigmatique ; là des verts livides jonchent des champs de batailles ; des bleu-gris font courir des nuées ; de minuscules taches de couleurs vives entraînent des foules au long d’itinéraires labyrinthiques ; génèrent des optimismes... 

  C’est pourquoi les plus violentes et désespérées de cette trentaine d’œuvres sont L’Oppression, jeu de cubes disposés géométriquement, proposant des univers kafkaïens de solitude, de torture, d’enfermement ; minuscules huis-clos où la camisole de force côtoie la nudité dégradante, le poteau d’exécution la lumière aveuglante des interrogatoires... Et Le Loup, portant à la place du coeur un homme endormi qui “rêve” de tout ce que son journal lui a appris la veille : la guerre, les cadavres gisants, maisons éventrées, balcons effondrés... Pas de couleurs, ici, des gris mats, blafards ; la misère du monde concentrée dans un corps d’animal dont le nom est synonyme de terreur!       

 

   Une oeuvre “militante”, en somme. Une rêverie désenchantée, mettant en cause une civilisation malade. Peut-être trop raisonnée dans sa volonté de dire, témoigner, dénoncer, pour être bouleversante. Mais puissante, tout de même ; attachante par ses moments de poésie ; le mal de vivre évident d’Alain Marcon ; son besoin irrépressible de “faire bouger (ses) paysages intérieurs, afin que vivent (ses) créatures” ! (¹)

Jeanine RIVAIS

 

(¹) Alain Marcon : catalogue de l’exposition. 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1997 SUITE A L'EXPOSITION AU MISEE D'ART NAÏF DE NOYERS-SUR-SEREIN (Yonne) ET PUBLIE DANS LE N° 21/22 DE LA REVUE LE CRI D'OS 1997.