LE THEATRE DU SILENCE DE MICHELINE JACQUES

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  Certains artistes produisent des œuvres tellement originales qu’il est impossible, même pour se donner des certitudes, de les classer ! Ainsi, Micheline Jacques est-elle sculpteur ? Il semble bien que non, malgré les multiples “individus” qu’elle crée et propose dans les plus grandes intimités corporelles. Les mains du sculpteur, en effet, ont généralement envie de se confronter à un matériau dur qu’elles cisèleront ou modèleront ; tandis que cette artiste choisit la mousse dont, comme par défi, elle écrase les contours, donnant aux têtes  de ses personnages une forme ovoïde. D’ailleurs, cette volonté d’ovalisation se retrouve dans la façon dont elle installe ses créatures, allongées et roulées sur elles-mêmes, lovées dans le giron d’une autre, repliées sur leurs genoux relevés, etc. Quel choc, en entrant dans son atelier, d’être soudain environné par tous ces êtres grandeur nature, installés dans les attitudes figées du repos, comme ces hommes exhumés de la lave de Pompéi qui l’ont tellement impressionnée !

           Est-ce la vie ou le théâtre ? Si c’est la vie, c’est le moment de l’étape, après la longue fatigue de la journée, moment des menues confidences formulées à mi-voix, avec un sentiment paresseux de bien-être ! Car aucune angoisse ne se dégage de ces groupes, mais au contraire une très forte sensation d’intimité. Et, en admettant qu’elle ne soit pas sculpteur, ce qui n’est pas prouvé, Micheline Jacques est incontestablement une scénographe hors pair. En atteste son grand talent à modeler les attitudes de ses créatures dont il est quasi-impossible, si ce n’est subjectivement en fonction de telle pose particulière, de dire (puisque de ces “rencontres”, les enfants sont absents)  si elles sont féminines ou masculines… Si c’est le théâtre, nul besoin d’un décor : tout est là, dans les costumes gris-rose, gris-bleu, gris-sable... sortes de tuniques coupées dans un tissu d’une unique texture, mais plissé, roulé, chiffonné... au gré de l’extravagante sobriété de la couturière en elle, qui sait également disposer de façon élégante des voiles autour de quelques personnages : ces voiles, arachnéens, confirment cette sorte d’autarcie dans laquelle vivent ces êtres ; et leur laissent, en même temps, par leur transparence, le loisir de “voir” leur entourage et de communiquer avec les autres visages aussi énigmatiques.

Visages ? Non pas, car tous sont couverts de bandelettes comme des momies ; et il faut tout l’art de Micheline Jacques, pour que ces silhouettes ne semblent pas  “mortes” ; que ces yeux clos dans ces absences de visages justement, n’aient l’air que de se replier sur eux-mêmes, comme ne se sentant pas vraiment solitaires, à cause de la convivialité silencieuse de ce moment unique !

  Parfois, se rapprochant des origines de la terre-mère et des mystérieux nomades du désert africain, l’artiste pousse jusqu’à la royauté l’apparence de ses créatures. Elle remplace les bandelettes par des sortes de loups bordés de dentelles sous lesquels s’affirme l’arrondi d’un menton ; tandis que, rapprochant parfois deux personnes en un couple improvisé, leurs doigts fuselés se joignent intensément ; comme si cette recherche esthétique infiniment précieuse poussait à son apogée leur besoin de communion !

           Alors, sculpteur, Micheline Jacques qui rêva un jour qu’elle réalisait une “chambre de sommeil” ? Qui abandonna pour ce faire ses grandes compositions abstraites, constructions éphémères si bien intégrées aux paysages ; ou implantées dans les arbres telles les racines aériennes de quelque essence inconnue. Qui renonça à ses figures-totems faites de torons de tissus, accrochées aux murs, comme prisonnières de ces entrelacs, atteignant parfois de tels paroxysmes que n’émergeaient plus que les mains et les pieds. Pour parvenir finalement à ces personnages conçus en ronde-bosse, mais ne présentant jamais au spectateur que le devant de leur corps ? Metteur en scène de l’instant privilégié et de la complicité silencieuse ? Artiste, infiniment, offrant au visiteur, un moment de pur plaisir dont subsistera la rémanence, longtemps après qu’il se soit,  à regret, détourné  de ce merveilleux univers !

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998, APRES L'EXPOSITION DES ŒUVRES DE MICHELINE JACQUES, AU MUSEE D'ART NAÏF DE NOYERS-SUR-SEREIN, SOUS LE TITRE "HORS DU TEMPS".