LE BAL JAUNE : VENTE AUX ENCHERES DE COFFRETS REALISES PAR DES ARTISTES AU PROFIT DE L'ASSOCIATION LA SOURCE, PRESIDEE PAR LE PEINTRE GERARD GAROUSTE ET CONSACREE AUX ENFANTS DESHERITES.

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 "Nous avons maintenant... un soleil, une lumière que, faute de meilleure appellation, je peux seulement qualifier de jaune, jaune soufre pâle, jaune citron pâle. Mais que le jaune est beau !"         Lettre de  Van Gogh à son frère Théo.

 

          Depuis des siècles, se pose la question grave de l'engagement des artistes : doivent ils rester indifférents, et dans leur tour d'ivoire créer à perdre haleine une oeuvre originale ? Ou bien, au contraire, doivent ils "s'engager" ? Mais s'engager comment ? Le milieu du XXe siècle, témoin de la Guerre froide entre Occident et Communisme, a vu nombre d'entre eux s'investir politiquement dans un militantisme qui a façonné tout ou partie de leur oeuvre : Fernand Léger, Aragon et Elsa Triolet, Yves Montand, etc.  L'Histoire s'est chargée de remettre à l'heure des pendules qui ont dû être parfois bien amères ! D'autres se sont alors tournés vers la guerre, les famines, les peuples opprimés en faveur desquels ils se dévouent aujourd'hui, disposant de leur aura médiatique pour dénoncer les horreurs contemporaines !

 

    Et les enfants ! Petits ou adolescents, citadins ou ruraux, beaucoup d'entre eux subissent quotidiennement la rupture familiale, l'exclusion due au chômage, l'alcoolisme de l'un ou l'autre parent, l'absence de structures d'accueil ou de loisirs, l'isolement, l'échec scolaire... Voilà pour des artistes l'occasion de manifester leur générosité et de rendre à ces êtres fragilisés, guettés par la délinquance, un peu de confiance en eux-mêmes et de joie de vivre. C'est le pari qu'ont, en 1991, engagé le peintre Gérard Garouste et l'éducateur Christian Gotti, en créant l'Association La Source, destinée à aider des enfants vivant en milieu rural. Sont venus les aider plusieurs artistes très connus.

          Diverses associations culturelles, parmi lesquelles les Fondations Coprim, SCI, Cartier, Nina Ricci, Lefranc Bourgeois, Techni Sécurité, Ricard, etc, leur prêtent leurs murs et jouent les mécènes pour permettre à cette entreprise d'aller au bout du but qu'elle s'est fixé : "Mise en oeuvre d'un accompagnement scolaire avec les enseignants et l'aide de bénévoles compétents". "Liaison permanente avec les parents, associés à toutes les étapes des projets". Et surtout "Organisation d'ateliers artistiques animés par des plasticiens de renom". Ainsi la boucle est elle bouclée : le talent et la notoriété de créateurs sont mis à la disposition de jeunes, afin de leur permettre de réaliser à leur tour, le décor qui devient leur "lieu de création et d'épanouissement".

 

         A l'automne 1998, et pour la quatrième fois à l'Espace Ricard, d'autres artistes ont accepté de participer à leur manière à ce cheminement ; d'offrir des oeuvres mises en vente aux enchères à l'Espace Ricard, au profit de La Source. Ils étaient cette année 152, à qui l'on avait confié une boîte en carton vierge, d'un même format pour tous. A eux de la transformer au gré de leur imaginaire et de leur talent. La seule consigne était d'inclure dans leur composition, du jaune en hommage à Van Gogh. Il y a donc eu de petites merveilles couvrant extérieurement le matériau anonyme. Des coffrets s'ouvraient, révélant des états d'âme qui allaient de l'humour à l'érotisme, des paysages aux huis clos... D'autres avaient été investis dehors et dedans. Certains artistes n'avaient pas hésité à lacérer le carton pour réaliser qui une croix, qui une colonne éclairée, etc. Ou bien, ne lésinant pas, comme Christine Canetti qui en avait mis cinquante, ils avaient inclus dans leur coffret déjà orné, plusieurs petites oeuvres originales.

 

 

          Noyées alphabétiquement dans la majorité des oeuvres appartenant à l'Art conventionnel, celles de quelques "Singuliers" s'imposaient avec autant d'autorité que leurs sœurs officielles et dans des gammes de recherche souvent très proches (Faut il en conclure que la créativité n'a décidément plus de frontières ; et épiloguer une fois encore sur le caractère irrémédiable de la fusion de toutes les tendances ? ) : Chris Besser avait installé son coffret sur pieds, créant une sorte de corps sans tête, recouvert ton sur ton d'épaisses couches de matière mate, sur laquelle étaient filigranés de minuscules pictogrammes. Jean Marc Gauthier jouait à l'intérieur du sien de ses géométries désordonnées. Sur l'une des faces de celui d'Eliane Larus se côtoyaient de petits personnages parmi des éléments de forêts incertaines. Christine Canetti  cette artiste a t elle d'ailleurs conscience d'appartenir résolument à l'Art brut ?  avait sur feuille après feuille, fait vivre ses portraits miniaturisés aux bustes sans bras, aux têtes linéarisées dans lesquelles seuls s'imposaient des yeux d'un noir intense. Enfin, une contorsionniste filiforme reliait, sur le coffret de Paella Chimicos (dont deux oeuvres immenses ornent les murs du Musée Cérès Franco), les angles opposés du couvercle, autour duquel se déroulait une phrase, complément incontournable de toutes ses créations.  Des participations originales, dans une magnifique exposition éphémère, riche de sa multiplicité.

 

          Pendant plusieurs heures, sous la houlette d'un commissaire-priseur déchaîné, ont été révélées une à une ces sortes de tirelires. Tirelires par leur aspect de mystère ; tirelires par les envolées financières de certaines d'entre elles  en particulier celles de Garouste et Corneille   . Et, pour une fois, il était bien que talent égale argent ! D'autant que le public a  aussi manifesté son imagination débridée en arrivant au "bal jaune" qui a suivi la vente, avec de fort beaux costumes réalisés dans toutes les variantes de jaunes !

 

          Souhaitons donc aux petits déshérités qui pendant une année, bénéficieront des largesses d'un  soir  des  nantis    environ 370 000 francs  d'oublier un moment leurs soucis ; et de témoigner à leur tour, dans des murs bâtis pour eux, de la plus grande créativité.

Jeanine RIVAIS

 

ASSOCIATION LA SOURCE : La Poultière, 27160. LA GUEROULDE. Tel : 03.32.35.91.41.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 38 DE FEVRIER 1999 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.