Il était une fois un jeune rugbyman du Midi de la France, que rien ne prédisposait à "entrer dans les arts". Mais les bonnes fées penchées sur son berceau en avaient décidé autrement : elles lui firent successivement rencontrer une épouse dont la vocation était de devenir professeur de dessin ; un commandant de l'"armée militaire" peintre et écrivain qui fermait les yeux sur son antimilitarisme et lui recommandait des expositions ; et, au Commissariat à l'Energie atomique où le firent aboutir ses études, un spécialiste des lasers qui avait travaillé avec Salvador Dali ! Elles placèrent dans sa main un crayon et dans sa tête beaucoup de jugeote qui lui permit de prendre conscience de ses manques, apprendre à regarder autour de lui sans a priori, apprécier la différence entre imitation et imagination, devenir enfin un créateur capable d'introduire dans l'univers qui était le sien, humour, liberté, talent, bref faire de cet anarchiste social un "contrebandier de l'art" ! 

 

 

          Une fois solidement campé sur ses bases rebelles, Alain Pauzié commença à s'amuser des contradictions entre ses fantaisies et son travail ; passer de la plus grave rigueur scientifique aux paradoxes les plus fous ! Tout de même, ses origines et une pointe d'avarice l'empêchèrent de se sentir à l'aise devant une toile et l'amenèrent à prouver qu'avec "rien", tout lui était possible ! Il s'exprima donc en un déluge de compositions réalisées sur des feuilles d'ordinateurs ; sur des planchettes de tous formats : bien avant la mode du "mail-Art", sur des enveloppes adressées à ses amis ; et, au hasard d'une trouvaille rejetée par la mer, sur un support pour le moins insolite : une semelle de chaussure qui, d'emblée, donna la pointure de ce créateur singulier !

 

Depuis, Alain Pauzié enchaîne sur ces matériaux des sortes de hiéroglyphes ? pictogrammes ?… Signes hors-les-normes, hors-les-frontières ; rythmes labyrinthiques fascinants mais indéchiffrables, avec tout de même des clins d'œil surprenants comme celui qui consiste à soumettre son cerveau au scanner et en reproduire, en coupe, les circonvolutions ! N'est-ce pas une manière de se livrer corps et âme à son art ? Néanmoins, apparaît un besoin de rigueur quasi-mathématique qui oblige l'artiste à découper préalablement par de gros traits noirs, la surface qu'il investit. Il s'assure ainsi un contrôle "psychologique" sur le "désordre" qui va suivre lorsque se déchaînera son besoin frénétique de meubler les blancs par de petits personnages très mobiles, stylisés avec des candeurs d'enfant : petits animaux genre Shadocks, petites boules, petits… un véritable délire le conduisant à une "occupation" totale des espaces, en une progression qui lui prendra des heures avant de parvenir à un rythme satisfaisant ! Procédant parfois à l'inverse, il dessine comme à la patatogravure, un seul personnage perdu au milieu de la feuille blanche, "vêtu" de pied en cape de petites croix, petits points, petits traits, petites taches… et le voilà parti dans ses accumulations primitives. 

Jusqu'au moment où il commence à déposer sur un autre support des amas de plâtre, sans intervenir sur les liserés, les aplats, les griffures provoqués par la truelle, afin d'exploiter les accidents, recommencer sur ces reliefs, ses kyrielles, tel un ébéniste chantournant les arabesques d'un moucharabieh ; toute cette folie centrale, corrigée finalement par la rigueur incontournable du cadre noir ! A moins que ce ne soit le contraire, que le cerne épais appelle inéluctablement par son austérité, la floribondité des signes cabalistiques ?

 

          Et que dire des semelles, racornies, déformées, ou fleurant bon le cuir neuf, ces semelles sur lesquelles il "repousse" ses dentelles géométrico-figuratives ? La plus émouvante n'est-elle pas celle réalisée à la mort de Dubuffet, dont les encouragements amicaux l'avaient, pendant des années, conforté dans sa liberté esthétique ? (¹)

          Et les gravures sur os ? Et ces belles enveloppes dont les facéties ou les reliefs font les délices ou les tourments des employés des postes avec qui Alain Pauzié a développé des rapports à la fois provocateurs et jubilatoires… 

 

          Bref, il faudrait des rouleaux entiers de parchemin pour expliquer sous quelles formes l'artiste a colonisé les matériaux farfelus qui ont sa prédilection…A moins que, issus de la société de consommation, ils ne se soient trouvés là à point nommé pour corroborer son insatisfaction face aux aberrations qui l'entourent  ; corriger dans le même temps, par la fantaisie qu'ils autorisent, le manque d'humanité de ses constructions trop structurées ; étaler au grand jour ce qu'il garderait sinon dans son inconscient, de révolte, de  malice, de recul par rapport à la vie quotidienne ; planifier ses déséquilibres picturaux ; en extraire un équilibre personnel dans lequel il s'ébroue comme une poule dans la cendre ! 

 

          Tant de pour et de contre inélucidables, dans cette démarche ! Sans doute, seules les bonnes fées qui présidèrent aux destinées d'Alain Pauzié sauraient-elles résoudre ces dilemmes ? 

Jeanine RIVAIS

 

(¹) LA PONTE DE LA LANGOUSTE / Lettres de Jean Dubuffet à Alain Pauzié. Le castor astral. BP 11 ; 33038 Bordeaux Cedex.

Les œuvres d'Alain Pauzié sont visibles en permanence à la Collection d'Art brut de Lausanne.

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996 ET PUBLIE DANS LE N° 14/15 DE LA REVUE GAZOGENE.