Il est difficile, voire impossible, de rattacher à telle ou telle référence culturelle actuelle, le travail de Simone Faïf qui produit depuis des années une œuvre originale et attachante.

Il est difficile, voire impossible, d'appréhender au premier coup d'oeil, ses œuvres très pensées, très élaborées, très intellectualisées. Comme un entomologiste grossirait l'insecte inconnu sous son microscope, vous entrerez donc dans son monde en vous en rapprochant graduellement.

De loin, seule apparaît sur un fond "sombre", "uni", une sarabande de petits bonshommes dansants, blancs, gris et argentés : Ces personnages découpés comme ceux des guirlandes enfantines vous donneront le sentiment que vous allez passer devant des œuvres gaies, légères !

 

Quelques pas. Apparaissent des taches colorées et des formes régulières, triangles, carrés, lignes perpendiculaires qui partagent "raisonnablement" la toile. Vous commencez à sentir une tension entre ces petits bonshommes folâtres et cette rigueur géométrique qui "situent" d'autres formes, pas très nettes à cette distance !

Quelques pas encore et vous restez abasourdi ! Impossible de tout voir à la fois ! Le nez collé sur ce fond qui vous paraissait uni, vous constatez qu'il est en fait un entrelacs de lignes minuscules, de points, de taches, de petits coups de tampons, de mousses infiniment ténues, le tout se chevauchant à l'infini : Impession comparable à celle que vous éprouvez en appuyant très fort sur vos globes oculaires. Ces milliers de signes multicolores infinitésimaux, vous donnent à chaque nouveau tableau, le sentiment que, toujours, "quelque chose" vous échappera, qu'il n'est pas raisonnable de prétendre "avoir tout vu" !

 

Et sur ce fond géométrico-délirant, les masses colorées deviennent des sortes d'escargots compacts, de spires épaisses, volutes pesantes, sortes de labyrinthes autour desquels, tels des phalènes, dansent les homoncules : brutalement, l'apparence devient sens.

Il faut décidément oublier ce fond, tout en sachant que ses vibrations joueront sur votre inconscient ; et entrer dans le ou les dialogues(s) figuré(s) sur la toile. Par sa façon de concevoir ses œuvres, Simone Faïf vous "oblige" à partir du bas central : un hélicoïde (un fleuve ?) vous entraîne vers le haut ; périple à mi-chemin entre ces deux spirales symétriques, symbolisant la naissance, le déroulement de la vie, la possibilité ou l'impossibilité d'une échappatoire. Vous voyagerez le long de cet "Arbre de Jessé", entre un pré fleuri porteur de vie et un carré rempli de signes abstraits, symboles de l'enfermement de l'homme ; entre la joie et la tristesse ; entre l'apaisement et la violence ; entre le plein et le vide ; le masculin et le féminin... toutes les ambivalences de cette œuvre arrachée aux racines de Simone Faïf... Des phrases, des mots fléchés vous donneront des clefs, modifieront des rythmes sans jamais supprimer cette démarche manichéenne, le long de laquelle vous sentirez progressivement monter l'angoisse.

          Une citation d'un poète indien à propos du Taj Mahal "rose au lever du soleil, d'un blanc incandescent aux heures chaudes, laiteux et évanescent sous la pleine lune, terrible sous les éclairs des soirs d'orage" pourrait parfaitement convenir à l'oeuvre de Simone Faïf : selon que vous tournerez la tête à droite ou à gauche, vous vivrez des moments chauds ou glacés, lumineux ou ternes ; mais quand vous aurez devant vous la totalité de l'oeuvre, la vision sera terrible !

Simone Faïf explique volontiers son travail. Elle a su intellectualiser sa démarche. Elle est très consciente de la pesanteur de la symbolique de sa création.  Mais la seule chose que redoute cette artiste angoissée et perpétuellement en situation de doute par rapport à elle-même et à son œuvre, c'est l'indifférence. Elle a peu de chance de devoir l'affronter, car son travail a l'art de convaincre le visiteur capable de l'approcher à s'y brûler les yeux, et d'irriter celui qui est intellectuellement ou psychologiquement empêché d'effectuer cette approche. Impensable pour quiconque de passer "sans la voir" !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE  ETE ECRIT EN 1994 ET PUBLIE DANS LE N° 7 DE LA REVUE LE CRI D'OS.