IN-FORME ET FORMES CHEZ CARL SIEBERT, peintre

(15 JANVIER 1922-4 JANVIER 2012)

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Carl Siebert
Carl Siebert

Depuis si longtemps que Carl Siebert est dévoré par le démon de peindre, son travail a continuellement fluctué autour de trois ou quatre préoccupations récurrentes :

 La tache, d’abord, --née à l’époque où il se sentait attiré par l’abstraction– ; qui lui permettait de placer côte à côte de petits espaces intimistes de couleurs opposées ou complémentaires, faisant vibrer tel passage de l’oeuvre ; ou au contraire de projeter de grandes flaques informelles, très colorées, passées et repassées en apports irréguliers ; tantôt avec un pinceau ou un doigt surchargés de peinture en lourds amas riches de reflets pâteux ; tantôt presque secs, laissant transparaître les sous-couches et émerger la trame du support. 

Et puis, le trait, noir, lourd, cernant puissamment les petits espaces évoqués plus haut ; ou irrégulier, comme jeté ; par endroits fragile et épisodique à la façon d’un jeu de pistes ; d’autres fois épais, répétitif, s’évasant en des géométries incertaines ; repris ou disparaissant sous des dépassements de peinture : d’où une impression de fragilité qui apportait à l’oeuvre une émotion trop souvent absente chez d’autres créateurs.

Siebert Coll. Rivais/Smolec
Siebert Coll. Rivais/Smolec

L’équilibre, en outre, que possède intuitivement depuis l’origine, Carl Siebert ; né du déséquilibre entre ses composantes géométriques et ses taches ; tous éléments dont la conjugaison crée une sorte de rayonnement cosmique d’où, telle une aube du monde, émergent des personnages.

Car, inconsciemment sans doute d’abord, puis dans un désir grandissant de jouer les démiurges, sont apparues des formes dans ce qui aurait dû continuer de n’être qu’informel. Des formes presque abstraites, en filigrane dans le magma polychrome ; puis de plus en plus résolument humanoïdes ou animales, sans jamais devenir réalistes. Et, à mesure que, au sens littéral, l’in-forme prenait corps, est apparue une préoccupation nouvelle. Ayant accepté le concept de l’homme, il s’agissait de lui donner une “présence” : Siebert / philosophe a donc convaincu Siebert / peintre d’arracher de ces simples silhouettes, des éléments de “vie” ; trouver sous le “masque”, le psychisme de ces personnalités à peine ébauchées. Alors, il a commencé à se “raconter des histoires” : d’un conte de Grimm, par exemple, sous un croissant de lune blême, est “né” un roi, reconnaissable à sa tête couronnée. Quant à la reine dont l’histoire dit qu’elle était trop ambitieuse, elle n’a réussi à émerger que partiellement de la toile... Ailleurs, se posant le grave problème de la relation de l’homme à la technologie, l’artiste a peint un être aux bras bourrés d’électronique, etc.

Ainsi, Carl Siebert en est-il venu à une morale très manichéenne, liée à une éthique très rigoureuse. Mais, bien sûr, toutes deux ne pouvaient prendre pleinement leur sens que véhiculées par une démarche picturale puissante, une implication profonde dans la peinture, une attitude d’interrogation perpétuelle en quête de soi-même : toutes qualités qu’il possède au plus haut point, et qui font de ce peintre, un authentique “chercheur” de l’art !

Jeanine Rivais

CE TEXTE A ETE ECRIT EN JANVIER 2001