PEINTURE ET ECRITURE CHEZ PAELLA CHIMICOS

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Certes, il peignait déjà depuis quelques années. Il dessinait aussi. Mais l’aventure semble avoir commencé pour Michel Pallacios le jour où, fatigué sans doute de son nom, il a décidé de devenir Paella Chimicos... Ce que ne dit pas cet anagramme délibérément ludique, c’est si l’artiste avait bien apprécié la connotation féminine de son nouveau “prénom” ; et supputé le nombre de spectateurs qui resteraient perplexes devant ses toiles, essayant d’imaginer comment une création si évidemment masculine pouvait être l’oeuvre d’”une” peintre ? Humour, quand tu nous tiens ! Et apparemment, il n’est pas près de quitter Paella Chimicos qui, avec chacun de ses personnages “élastiques”, manifeste une fantaisie sans cesse renouvelée !

Mais n’est-ce là qu’un jeu ? L’artiste ne semble pas le penser, puisqu’il aborde les sujets les plus sérieux et les plus culturels : “Sisyphe", "Du côté de l’oubli", "Arcadie", "L’Entrave"... disent ses titres ! Et sa conviction est contagieuse ! C’est qu’en effet, son personnage biscornu, déformable à merci pour occuper l’espace de la toile, va bien au-delà de la simple esthétique formelle : ses positions acrobatiques, sa forme longiligne créent immédiatement une dynamique suggérant ici la volupté, là le désir... ailleurs, la simple volonté d’”avancer”. Par contre, il se trouve toujours dans l’impossibilité physique de sortir de son enfermement : Paella Chimicos va même, pour l’en empêcher, jusqu’à intriquer ses bras et ses jambes, entrecroiser ses mains, le disloquer, etc. Cette démarche a une apparence tellement simpliste qu’il faut en réalité une grande force créatrice, un sens profond de la mise en scène théâtrale pour parvenir, avec seulement quelques lignes, à faire naître tour à tour chez le spectateur, la conscience de ces divers sentiments. D’autant que l’artiste ne se simplifie pas la tâche, se privant de toute expressivité en ne créant que des visages anonymes, des parodies de visages en forme de spires, de crosses, de boules barrées de croix... ou carrément des “absences de visages” ! Tout est “dit” par les corps !

En somme, Paella Chimicos s’est fixé quelques postulats et se tient strictement aux limitations qu’ils lui imposent : Jamais de lignes brisées, ses personnages ne sont que courbes, volonté d’arabesques, donc membres sans articulations... Nudité indispensable, donc obligation de faire vibrer les chairs roses pommelées... Nécessité d’organiser l’espace, donc invention de toutes les contorsions et disproportions possibles...Volonté bien arrêtée de ne pas être narratif, donc suppression de tout ce qui pourrait traduire leurs peines ou leurs joies, leurs souffrances ... Finalement, la seule grâce qu’il accorde à ses homo-chimicosus, est d’être féminins ou masculins : les femmes possèdent de petites fentes délicates et des seins splendides aux aréoles rouge-vif. Les hommes arborent leur apanage orgueilleusement dardé. Le problème -les choses ne pouvaient pas aller de soi !- est que pour les uns comme pour les autres, ce symbole éminemment relationnel “se promène” au gré de la fantaisie du créateur, qui au milieu de la cuisse droite, qui le long de la jambe gauche... dans tous les cas, en “grande conversation” avec ce qui ressemble à un astérisque noir.

Quel peut être le sens de ce symbole répétitif, seul élément à se promener en liberté sur la toile ? Est-il, comme le signe typographique, la marque d’un renvoi ? Mais à quoi ? Au fond peint, peut-être, qui, tel un magma, bouillonne par-dessus des sous-couches de cartons et morceaux de tissus collés dont les épaisseurs génèrent des nuances parmi les traces foncées irrégulières, et font ressortir les silhouettes jouant avec leur ombre ? Ou plutôt à la frise, élément capital de toute oeuvre de Paella Chimicos ; promenade littéraire autour du personnage, circumnavigation psychologique sur le périmètre du tableau ; enfermant comme dans un second cadre la combinaison individu-décor ? Ecrite en couleurs de plusieurs caractères et hauteurs, pour en couper le rythme, cette phrase/bas-relief est toujours sentencieuse, parfois discursive, souvent redondante de l’état d’âme du personnage, la plupart du temps au conditionnel (“...elle s’y rendrait la nuit... la direction qu’elle devrait prendre...), comme pour marteler les incertitudes du créateur.

Ou bien tout simplement, cette étoile est-elle le point final qu’il apporte à chaque oeuvre conçue dans son style anticonformiste, animé et hardi ; dont les métaphores visuelles semblent avoir été inventées pour exprimer les gestes et les motivations de ses créatures si personnelles ; poser les bases de sa très originale physiognomonie !

Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999. IL A ETE PUBLIE DANS LE N° 63 DE SEPTEMBRE/DECEMBRE DE LA REVUE IDEART.