LES CYCLES DE VIE de MARIE MOREL, peintre et sculpteur

*****

Je t'aime
Je t'aime

Sous forme de petits éphémérides picturaux, rendus définitifs par juxtaposition et collage, Marie Morel ”narre" les mille évènements qui l'amènent d’un bout de l'année à l'autre. En faisant toutefois au visiteur un pied de nez qui le laisse perplexe : cent-dix cases par tableau (pouvant évoluer jusqu'au double !), à quoi correspond cette division ? Seule, elle connaît la réponse et joue de son secret en proposant cette forme répétitive sur laquelle le visiteur doit déchiffrer sa "vie", symboliquement liée au cycle des saisons : Cette autobiographie s'ouvre sur un cadre bucolique de frondaisons, émaillé de citations, maximes, réflexions personnelles qui accentuent le côté lyrique de ses oeuvres, leur donnent un style à part, intellectualisent sa démarche.

Je suis heureuse de vivre
Je suis heureuse de vivre

Elle passe à la ville, à "L'incompréhensible poubelle", où, dans les tons de bleus, elle vide ses tubes et ses tiroirs, étale ses déchets : Même dans ce décor déshumanisé, elle conserve un regard amusé, tendre peut-être, glisse ici une dentelle, là une perle pour montrer qu'elle est consciente de la laideur de son environnement, mais que chacun peut l'embellir s'il est suffisamment concerné !

Concernée, Marie Morel l'est, infiniment. Et le spectateur l'accompagne dans un monde de souvenirs, près de l'enfant qui naît, du père dont l'amour des livres a généré chez sa fille le goût de l'écriture. Concernée par la culture, comme en attestent ses petits théâtres dont les rideaux s'entrouvrent sur des textes manuscrits. Concernée, enfin, par le monde dans lequel elle évolue, l'écologie, la faim, la mort qui revient comme un leitmotiv en images infiniment tragiques.

Présence de l'invisible
Présence de l'invisible

Aimant la vie, pourtant, y mordant à belles dents, en une frénésie de corps nus lovés ; enlacés ; étalés sur des plages ; cuisses béantes ; sexes prêts pour des relations proposées en mille possibilités aussi érotiques que les scènes aux exhalaisons de soufre des célèbres temples de Khajurâho !

Ces journées aux grands soleils la ramènent, dans leurs cages dorées, à des oiseaux aux ailes déployées pour prendre leur essor, mais, hélas, enfermés  ; preuves que la belle liberté n'est qu'un leurre avant-coureur de la morte-saison ; celle où la campagne éclate de bruns rubescents, de jaunes pâlis ; où l'amour subsiste certes, mais après laquelle les corps alanguis sombrent dans le gris, s'éteignent inexorablement !

La boucle est bouclée en une époustouflante démonstration d'humour, d'amour et de joie de vivre, en même temps que de retenue. Car ce quadrillage a un rôle double : S'il multiplie les potentialités des personnages, la femme surtout, omniprésente dans ses délires et ses définitions ; en revanche les traits lourds de ce cloisonnement impliquent la solitude au milieu de la foule, l'incommunicabilité avec le voisinage. Pour contrebalancer ce côté obsessionnel, Marie Morel fait feu de tous bois, tous objets, toutes pacotilles ; les relie, les appose, les englue, les couvre de couleurs douces qui les harmonisent de proche en proche ; les ancre au milieu de spermatozoïdes dont les évolutions incontrôlées semblent une réponse à sa question :"Qu'y a-t-il en toi" ?

En Marie Morel ? La vie, bien sûr, tellement plus forte que "la mort (qui) éclate le temps” !

                                               Jeanine Rivais

Outre son oeuvre picturale, Marie Morel a fondé REGARD, "la plus petite revue du monde", dont chaque numéro traite du caractère et de l'oeuvre d'un artiste.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2000 APRES UNE EXPOSITION A LA GALERIE BEATRICE SOULIE.