Le rêve de Claude NASSIET serait d'aller dans des lieux abandonnés, vieilles chapelles, ruines de châteaux... pour y mettre en scène ses boîtes, ou bien de les plonger dans une ambiance musicale, de faire intervenir acteurs ou récitants. Ou encore d'inventer des itinéraires pour les spectateurs, de réaliser, en somme, un spectacle total, un théâtre où vie et création seraient indissociables !

          Il faut avouer que ce qu’elle a baptisé “boîtes”-coffrets matérialisés ou simples supports-se prêterait tout à fait à cette sorte de "happening", parce que chacune raconte une histoire, retrace un épisode littéraire, témoigne d’une infatigable quête de la part de l’artiste, d’une curiosité insatiable à l’égard des objets de rebut abandonnés par les autres, jetés ou vendus.

 

          L’originalité de Claude Nassiet consiste à restituer à ces objets leur vie perdue. Par exemple un roseau rapporté d’un voyage à une époque où un atroce accident ne l’avait pas encore clouée dans son fauteuil, ne s’est-il pas épanoui, des années plus tard, lorsqu'elle l’a intégré à l’une de ses boîtes-surprise ?

Mais Claude Nassiet ne s’arrête pas là. Elle restitue aussi à ces objets leur beauté parfois surannée, les associe de façon insolite, joue de leurs disproportions et de leurs disparités pour recréer d’étranges accouplements. Ce faisant, elle fait jaillir, par des rapprochements insolites, des sens nouveaux, un peu comme un psychanalyste reconstitue une histoire à partir de fragments de rêves de son patient !

 

          Elle sait également susciter du suspense ! Car le spectateur le plus attentif ne peut, d’un seul regard, percer le mystère tout entier de chaque boîte. Il doit s’en approcher pas à pas et l’investir petit à petit.

          Ainsi, Alice au Pays des Merveilles se présente-t-elle comme un ancien cadre de photographe fixé sur une planche couverte de “traces nuageuses” claires ou sombres  -métaphore pour le jour et la nuit ?-  peintes par l’artiste avec les doigts. De fines fleurs en dentelle collées sur du tulle créent une sorte de labyrinthe. Deux fuseaux, fixés verticalement, en suggèrent l’entrée. Au-dessus et au-dessous du cadre, douze ensembles de minuscules fèves de galettes des rois égrènent le passage du temps !

          Le cadre lui-même est partagé horizontalement par un trait noir interrompu en son milieu par une courbe et surmonté de deux taches claires : il faut s’en approcher de très près pour découvrir qu’en réalité il s’agit-là des moustaches et des oreilles d’un lapin ! Et pour discerner, en outre, la présence d’un minuscule mécano dans la boîte”, y trouver une montre et sa clef. La fameuse montre perdue par le lapin de Lewis Carroll, bien sûr ! Ce petit chef-d’œuvre d’humour témoigne du talent remarquable avec lequel Claude Nassiet assume, avec passion, la logique formelle de l’auteur et sa propre fascination pour l’imagination enfantine.

           La description détaillée de quelques autres œuvres conduit tour à tour le spectateur à vivre l’attente angoissée présente dans le Désert des Tartares recréé au moyen de pages de livres et de lambeaux d’écorces. A ressentir la tendresse infinie d’une Vierge de la Renaissance faite... de quoi ? De simples gants découpés ! Ou encore à s’étonner devant d’étranges naissances engendrées par des orifices constitués de cauris, coloquintes et grenades assemblés sur une planche à découper ! Enfin à s’émerveiller de la parole reconquise par le truchement d’un universel alphabet constitué de bois brisé par Claude Nassiet...

 

          Chaque réalisation de Claude Nassiet fascine le spectateur, l’oblige à réagir intimement en fonction de sa culture personnelle (l’un repense à sa poupée oubliée dans un grenier, l’autre aux fuseaux de sa grand- mère...), à s’attarder sur telle ou telle scène. Là où Claude Nassiet aura su le mieux “conjuguer” mémoire, hasard, raison ou intuition, coups de cœur et sens de l’esthétique. Au spectateur de s’investir totalement et sincèrement dans l’univers des "boîtes-surprise" de Claude Nassiet. Chez cette artiste, où s’arrête le rêve, où commence la vie ? 

Jeanine RIVAIS

 

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 18 DE JUIN 1996 DE LA REVUE FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL.