NEUF FEMMES A L'HARMATTAN

POUR LE Ve SALON DE FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL

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          Qu'est-ce qui peut réunir neuf femmes, peintres, sculptrices, photographes… en une exposition signifiante, outre la haute qualité de leurs travaux, qui coule de source ? C'est qu'il s'agit-là non de productions de hasard, mais d'œuvres de grande urgence, vitales pour ces artistes. Et même, cette aide n'a pas toujours été suffisante, puisque Sarah Kofman a fini par lâcher prise et nous a quittés l'an passé. Pour les autres, vie et création se sont étroitement imbriquées ; sagesse et déraison, réel et imaginaire ont fini par trouver un modus vivendi. Mais leur travail est profondément marqué par ces questionnements.  Il est donc logique que, sans hiatus, ces neuf démarches originales, attachantes, soient très différentes les unes des autres. 

Apparaît à l'évidence l'obsession du détail authentique chez JOSETTE DELABRE qui dépense depuis des années temps, argent, énergie et talent pour trouver tous objets relatifs à une période précise, les miniaturiser comme dans les films de science-fiction, au micron de détail près ! Tout serait affaire de technique, si n'entraient en jeu les angoisses de l'artiste quant à sa crédibilité ; son besoin jusqu'au vertige de véracité qui la pousse à placer près de "ses" créations infinitésimales, celles de taille "normale dont elle s'est inspirée ! 

Telle Alice, ANNE CHRYSOTHEME va au-delà des apparences : fixer photographiquement beauté et lumière la laisse insatisfaite. Elle "doit rendre" non le paysage, mais les sensations qu'il procure, déformer, tricher peut-être, iriser, buller… torturer l'objectif pour le rendre réceptacle, témoin et interprète des émotions qui, provoquant les cinq sens du spectateur, vont faire battre la chamade à son pauvre cœur ! 

En hommage à SARAH KOFMAN, sont présentés pour la première fois ses dessins : Œuvres prolongeant sans redondances ses écrits, romans et ouvrages philosophiques : visages camouflés, à demi-refusés au regard d'autrui, oblitérés de traits rageurs, de surfaces estompées ; demi-révélations, demi-retraits ; pas-de-deux mortels d'une artiste totale, écrasée par la vie ! 

          Les révoltes de la petite Anita contre l'autorité parentale et religieuse ont amené ANITA HUYGHE à illustrer "la Désobéissance" ! Dessins d'une précision d'orfèvre, traits au crayon si ténus qu'ils en paraissent arachnéens ; peintures et collages dont, sans gratuité aucune, chaque élément "appelle" l'autre. Manière à la fois ironique et humoristique pour l'artiste, de taper du pied, de se libérer enfin des tabous qui l'ont trop intensément ligotée ! 

          Longtemps investie dans un travail d'aide à des malades mentaux, DENISE LAPLACE a un jour transféré ses drames personnels au grand vent de Bretagne, à qui elle lance, sur le thème de "la bouche ouverte", une série de cris muets, d'angoisses viscérales, de limbes situées aux confins de mondes étranges face auxquels, suivant son imaginaire personnel, le spectateur part vers la grande lumière ou l'ombre angoissante ! 

          Les œuvres de DANIELLE LE BRICQUIR, rattachées à son enfance baignée de culture celte, mettent en scène contes et légendes en d'étranges psychodrames au cours desquels vie et mort s'affrontent sur les faces duelles de ses sécantures, ou sur les toiles littéralement liées aux cadres ; essaient de conjurer dans des ocres chaleureux, des éclatements flamboyants ou de cruelles couleurs froides, tous les démons auxquels est confrontée l'artiste. 

          Poète et photographe, PASCALE MORE erre dans la campagne à la recherche des nœuds, torsions, entrelacs minéraux et végétaux qui lui livreront "Le Cri", "le masque du fou"… assez violents pour faire jaillir en une intrication indissociable de l'image, une série de poèmes au vocabulaire précis, précieux, presque sophistiqué. Deux démarches distinctes et complémentaires, faites d'allusions aux cultures, légendes, mythes chers au poète et au chasseur d'images.

          Les sculptures de RAAK ANDRE-PILLOIS, petits personnages aux corps étrangement "incomplets", ont tous cependant, une bouche pour crier et un pied pour parcourir le monde !  Prenant à leur cou avec humour cet unique pseudopode, ils peuvent espérer trouver pour leur génitrice, la grotte magique dans laquelle elle enfermera ses livres-objets en terre, en bois ivres de senteurs exotiques ; ou ses galets recueillis au cours de longues errances sur les grèves bretonnes ! 

          Les voyages initiatiques de VIVIANE SERARD l'entraînent à travers les quatre éléments, en un chatoiement de couleurs, d'images inconscientes qui font ressurgir sur la toile les mythes, les religions anciennes qu'elle a côtoyées ; lui proposent des symbolismes pour créer son tarot personnel : la guident dans des errances à travers temps, espace ; prouvent selon l'artiste, l'existence dans ses gênes, du savoir de l'humanité tout entière.

Bref, une exposition-voyage à travers les joies et les souffrances, les recherches, les doutes et les révélations de neuf artistes en quête d'elles-mêmes. A ne manquer sous aucun prétexte ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996.

 

Il m'a été impossible de retrouver des images illustratives des textes concernant Josette Delâbre, Anne Chrysothème, Sarah Kofman, et Denise Laplace.