Gingko Biloba, arbre aux quarante écus… ravenala…. Arbre de Judée… flamboyant… voilà des noms qui, s'ils entrent progressivement dans le paysage occidental, n'en évoquent pas moins les jardins millénaires des antipodes, les fantaisies arboricoles de quelques lointains rivages ! Et les feuilles, les fleurs de ces noms enchanteurs ont fait soupirer bien des princesses, rêver bien des poètes, légiférer pacifiquement bien des empereurs. Le pouvoir des végétaux est tel que, depuis le VIIe siècle, les Japonais ont codifié la symbolique qui s'y rattache, érigé en philosophie la relation des plantes à leurs traditions, fait de l'IKEBANA un art de la composition florale, avec les mêmes lettres de noblesse que les estampes ! 

Pendant plusieurs années, Anne Garinois a suivi les cours d'un des maîtres es Art floral, appris à "regarder" la fleur, sentir sa "respiration", respecter sa pousse, méditer sur l'harmonie de sa forme et de sa couleur, placer non seulement ses yeux mais ses mains à l'écoute de la nature pour y percevoir des vibrations qui pouvaient, a priori, sembler superficielles mais s'avéraient essentielles pour permettre à la créatrice de travailler "en équilibre" avec la beauté posée devant elle. 

          Peu à peu, cette démarche prédéfinie lui a paru frustrante, pas assez personnelle et créative. Elle s'est lancé un défi : prendre du champ par rapport à l'art du "bouquet", investir les connaissances acquises et les sensibilités innées dans un travail où les objets de son environnement, les trouvailles résultant de ses patientes recherches, prendraient une place inattendue, se couleraient dans une réalisation où leur relation serait différemment conçue. 

 

Désormais, le visiteur peut tendre la main vers les délicats torons d'hydrangeas, fanés autour des gris-cendre de lichens inclinés en déséquilibre sur un vase blanc ; humer les feuilles d'un laurier ou la senteur poivrée de quelque piment piqueté de roses délicates en appui sur une pile de briques saumonées ; suivre des yeux les péripéties architecturales de minuscules écorces tissées dans des gousses de vanille ; rêver dans la lumière tamisée d'une lampe dissimulée derrière un gigantesque nelumbo ; caresser les bourrelets veloutés d'une mousse lacée entre les tiges ouvertes de bambous blanchis au soleil, etc. 

    En optant pour cette ligne artistique, Anne Garinois a dû éviter de créer des œuvres de complaisance, et surtout garder présente à l'esprit, leur durée éphémère. Le résultat est à la hauteur de cette exigence : L'élégance de ses compositions dans l'espace est telle qu'il leur suffit du faîte d'un mur, d'une tablette… pour éclairer d'un éclat tout neuf la pièce qui les héberge. Et l'artiste sait "mettre en scène" des séries murales, coller sur du carton délicatement ouvré et les insérer dans des cadres luxueux, les créations destinées à orner des cimaises…

Ainsi prolonge-t-elle la courte vie des végétaux, crée-t-elle selon ses humeurs des ensembles précieux, kitch, théâtraux… qui, à l'instant précis où son regard se pose sur eux, obligent le promeneur à s'arrêter, comprendre la confidence à lui murmurée par ces harmonies florales, découvrir qu'une infinie beauté un peu romantique peut, même dans son univers parfois morose, faire partie de son quotidien ; pourvu qu'il y consacre beaucoup de temps, de patience et d'amour, qu'il tente de toutes ses forces d'être un moment en communion avec la plus modeste violette, le plus voluptueux pétale de rose ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993.