Comment échapper à la violence psychologique de légendes pointillées d’îles englouties, de serpents ravisseurs de damoiselles, de charrettes arrachant à leur village les derniers morts de l’année ?... Comment oublier le charme de la fée Morgane et la ruse de Merlin l’enchanteur ? Jean-Marie Martin s’en est cru capable, quittant pour Paris sa Bretagne profonde. Mais, là- bas, d’autres obsessions l’attendaient : le béton, le stress, la course perpétuelle dans les rues déshumanisées qui ont eu raison de sa santé et de son optimisme. Et, malgré le bonheur de suivre -à défaut des Beaux-arts- des cours d’Art sacré où la plus grande liberté d’esprit et de créativité lui était accordée, cette période l’a profondément marqué !

Episodes de la Bataille de Wardepoule
Episodes de la Bataille de Wardepoule

          Au point que, pour conjurer ces influences négatives, renonçant aux "Fête(s) sur la plage" et aux "Paysage(s) marins", il s’est lancé dans une série burlesque et satirique de peintures “historiques”, intitulées "La bataille de Wardepoule", puis "Madame Royale" : au Petit Caporal croulant sous les médailles, il assignait alors des attitudes saugrenues, comme de pirouetter devant ses canons ou d’affronter des sortes de monstres noirs appendus de part et d’autre de la toile... A Madame Royale, il prêtait de multiples aventures (dans les jardins, sur la mer, etc.) au cours desquelles elle était assimilée à une Madame Sans-Gêne ridicule et vulgaire ; et ses comportements allaient jusqu’au bout de l’absurde. Ainsi, entre autres exemples, évoluait-elle au milieu d’une flore extravagante, parmi laquelle l’artiste avait glissé un chat, un chou, un oeil et faisait s’exclamer la promeneuse : “Cha ! un chou ! Mon oeil !” ; feignant d’ignorer qu’en fait, la dame avait raison : cette masse frisée était non pas un chou, mais bien un placenta... Observation qui, aujourd’hui, emmène Jean-Marie Martin dans un grand éclat de rire, et le spectateur dans toutes sortes de supputations !

          Travail exécuté à longs traits vermiculaires, où les fonds progressaient dans des couleurs douces allant des gris aux beiges, sur lesquelles se détachaient des personnages réduits aux lignes suggestives, imposants malgré tout, parce que campés de main de maître !

          Jean-Marie Martin s’est-il, malgré ces créations ludiques, senti sombrer ? Toujours est-il qu’abandonnant les références culturelles, même dérisoires, il en est venu à des oeuvres oniriques, sortes de paysages aquacoles, de limbes luxuriants dans lesquels flottaient des personnages onduleux, des pieds sans corps, des têtes semi-noyées ou renversées, sur lesquelles s’appuyaient lourdement des mains énormes ! Vertiges ! Rêves hallucinés où l’artiste se jouait de l’espace, où des lambeaux de lui-même sans relation apparente tourbillonnaient vers l’infini, tandis qu’au-dessus de cet enfer aquatique, une sorte de démiurge au visage diabolique se penchait, contemplant dans ces courants maléfiques ou ces cascades tubulaires, les pauvres victimes à la dérive !

Les visions infernales de Jean-Marie Martin
Les visions infernales de Jean-Marie Martin

 

      L’enfer ! Poursuivant son séjour à Paris,     -Marie Martin a tenté de l’exorciser, en peignant dans des rouges... infernaux, une suite innombrable de personnages-animaux aux gros yeux ronds luminescents ; aux interminables jambes grêles ou au contraire, trapues et multiples ; corps-serpents, queues-sirènes... réminiscences de “sa” guerre, de corps torturés et de leurs tortionnaires, d’infanticides, etc. Créatures puissamment évoquées, ou au contraire en filigrane, monstres lourds ou Gorgones menaçantes... Tous statiques, et néanmoins combinés par le peintre de manière à sembler, de concert, avancer vers le visiteur !

          Série à la fois fascinante et terrifiante qui emmenait son auteur toujours plus loin vers de nouveaux abîmes. Jusqu’au jour où, incapable d’en supporter davantage, il a fui Paris pour la Provence avec, enfin, la certitude d’avoir échappé au Royaume des Ombres !

 

Jean-Marie Martin parmi ses bannières et autres oriflammes du Verdon
Jean-Marie Martin parmi ses bannières et autres oriflammes du Verdon

          Mais, s’il en allait bien ainsi, si le ciel bleu, le grand soleil et les cigales étaient au rendez- vous, c’était compter sans la magie liée à ses origines ! Et voilà Jean-Marie Martin tombé de Charybde en Scylla ! Plongé tout droit, depuis la crypte de sa bastide, vers le passé des Templiers, l'ésotérisme des lieux qu’ils ont hantés, le mysticisme et le secret des Chevaliers... Le voilà introduit d’emblée dans les arcanes, les symboles de leur recherche du Graal ! Conscient d’être désormais impliqué dans cette quête, il a commencé la sienne, sous la forme d’une création complètement nouvelle, provoquée par une visite à la source du Verdon, lieu “magique” par excellence ! L’oeuvre naissante a tâtonné parmi des incrustations de subcourants et d’algues, de galets roulant dans des profondeurs glauques ; est allée crescendo vers une iconographie de trônes et d’étendards, de ciboires et de livres sacrés ; vers des géographies de gués enneigés et de portes gardées par des veilleurs tapis dans des roseaux... Portes closes sur des rites revisités, païens ou traditionnels, sacrés toujours !

      

Les Guetteurs parmi les roseaux qui bordent le Verdon
Les Guetteurs parmi les roseaux qui bordent le Verdon

          Cette fresque immense est déclinée depuis plus de dix ans au moyen de clous de tapissier aux têtes peintes, travail titanesque, dont la répétitivité obsessionnelle génère des géométries rigoureuses et des fluidités immobiles.

          Rien d’étonnant alors, qu’après les angoisses vécues dans les miasmes citadins, l’imprégnation d’une mythologie si personnelle ait apporté à Jean-Marie Martin un sentiment d’immortalité ! En même temps, il se demande, inquiet de cette emprise, s’il lui sera possible de “quitter les lieux” qui se sont gravés de façon si indélébile dans son imaginaire, pour explorer d’autres variantes de sa création ?...

 

Subcourants et algues, voûte étoilée, croix celtique et armorial du Verdon
Subcourants et algues, voûte étoilée, croix celtique et armorial du Verdon

          Mais se libère-t-on jamais de Morgane et de Merlin ? Au fil des siècles, l’aura des Guerriers de Dieu s’est-elle effacée, la sacralisation du Graal s’est-elle atténuée ? Comment Jean-Marie Martin se libérerait-il d’eux, puisqu’ils sont inscrits dans ses gênes ? Et pourquoi devrait-il s’en libérer, lui qui a atteint, avec cette allégorie picturale, un tel sommet de création ?

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 61 DE NOVEMBRE 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

VOIR AUSSI : TEXTES DE JEANINE RIVAIS : "Jean-Marie Martin chantre des mythes celtiques et occitans . Et "VOYAGE DE JEAN-MARIE MARTIN AU LONG DE L'EXPOSITION DE FORCALQUIER" : : http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER.

ET : "LA QUETE DU GRAAL" : N°61 de Novembre 19997, DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. Et : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique RETOUR SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE.

 

Jean-Marie Martin (1922-2012) a fait don de l'ensemble de sa série à la "COLLECTION CERES FRANCO D'ART CONTEMPORAIN", et à la mort de son épouse, a rejoint son frère à Concarneau, regagnant ainsi le lieu de ses origines.

Devenue une part majeure de "LA COOPERATIVE COLLECTION CERES FRANCO" domiciliée désormais à Montolieu (11), la série sera exposée au public au printemps 2018.