PORTRAITS DE FAMILLE AVEC FLEURS de CLAUDINE JOURDAN

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          Durs ou attendris, rêveurs ou impatients, noirs et brillants ou troubles immenses ou plissés aux coins ; surmontés toujours d'épais sourcils et lourdement fardés, les yeux, exigeants et incontournables, sont le premier contact du spectateur avec les personnages de Claudine Jourdan. Comme s'ils transcrivaient les sautes d'humeurs qui, au cours d'une vie, animent les éléments d'une relation familiale.

          Car il s'agit bien de familles, couples d'amoureux, parents-enfants, trios en combinaison diverses ; installés par l'artiste dans une relation soumise à des critères répétitifs également incontournables, dont le premier est un axe de symétrie de part et d'autre duquel s'organise "la scène" : La plupart du temps, il est concrétisé sous forme de fracture-liane-toile d'araignée-.. montant, tel un arbre de Jessé, vers le haut du tableau. D'autres fois, réduit à une ligne, il suit l'arête nasale du personnage central et se ramifie au-dessus de la chevelure. Même si, de temps en temps, il n'est que virtuel, il est bien "là", conditionnant les positions de têtes et des corps… Plus profondément, il engendre une dichotomie des visages, nettement scindés en deux moitiés de face/de profil, claire/foncée, du menton en double crochet jusqu'au cerveau aux lobes séparés par des plantes. 

          Les végétaux sont, en effet, la deuxième constante de l'œuvre de Claudine Jourdan. : bouquets-têtes de fleurs au pistil-œil ; ou grosses corolles épanouies le long de tiges aux racines fouissant la cervelle des personnages, ils semblent - plutôt que décoratifs - être les émergences de leurs pensées, leurs fantasmes ou leurs obsessions. Ce système relationnel emmène le visiteur loin dans ceux du peintre, peuplés d'êtres aux dents monstrueuses, bouches lippues, nez pointus, doigts terminés par des ongles-griffes rouge-vermillon, seins arrogants aux mamelons dardés ! Pourtant, même si deux corps deviennent une unique tête ; si deux têtes se fondent en un seul cerveau ; si d'indubitables cordons ombilicaux relient des personnalités dissemblables ; si l'humour surgit inopinément comme cette Eve fixant sans ambiguïté le sexe d'Adam ; il y a peu d'intimité, de complicité, de joie ou d'érotisme dans ces groupes dont les protagonistes ont l'air de se cramponner les uns aux autres au lieu de s'enlacer ou de communiquer.

          Sur décors brossés à grands coups de pinceau en intrications serrées, et non sur cadres de vie, dans des attitudes intellectualisées et non en positions actives, le peintre campe des créatures jamais tout à fait réalistes, stylisées plutôt, de façon que soient immédiatement appréhendés leurs sentiments, doute, anxiété, frayeur… Car sur un thème que l'on voudrait léger et chaleureux, Claudine Jourdan a, au fil des années, personnalisé son univers bien à part, angoissé et angoissant, un monde aux couleurs glauques dans lequel le visiteur, fasciné par les regards multiples et les tensions implicites, se sent un peu voyeur. 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996.

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " PORTRAITS DE FAMILLE AVEC FLEURS DE CLAUDINE JOURDAN peintre ". N° 57 d'AVRIL 1996 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

Et N° 48 DE JUIN 1996 DE LA REVUE IDEART.

Et aussi : : http://jeaninerivais.fr Rubrique RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S).