HERVE AUSSANT EN NOIR, EN COULEURS INFERNALES ET EN TERRIBLES SOUFFRANCES

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         Quelles pensées apocalyptiques assaillent donc sans trêve Hervé Aussant pour que, depuis bien des années où il crée au milieu de ses machines à graver ses fantasmes, ou dans le secret de son atelier à les peindre, toutes ses œuvres soient des huis clos dans lesquels s’agitent des créatures infernales en lévitation, comme empêchées par on ne sait quelle force, de trouver un point où se poser ? Très secret, l’artiste ne soulève aucun voile susceptible d’en donner les clefs. Peut-être alors, peut-on imaginer que, tels les créateurs médiumniques, il lui est impossible de ne pas exprimer ses hallucinations vécues au quotidien ; et qu’il revient à chacun d’y voir ce qui l’arrange... ou plutôt le dérange ? Car ces œuvres belles comme des images de damnations sont tellement fortes que nul n’en revient serein ou indemne !

          Il s’agit de monstres annelés, enchevêtrés, soudés ou côte à côte dans des verticalités ondulatoires, brisées de bosses elliptiques ou allongées ; de tubulures perforées, chaque orifice semblant une issue d’où émergent un ou des personnages non réalistes mais de toute évidence humanoïdes ; dépourvus de visages “humains” mais, semblables au monstre de La Belle et la Bête, violemment expressifs. Sans répit, ils flottent, avec leurs têtes minuscules perchées sur de longs cous ; leurs yeux ronds faits de plusieurs cercles concentriques au centre desquels luit un point noir inquiétant ; leur nez, fixé là comme un troisième œil cyclopéen ; leur bouche réduite à une mince fente presque sans lèvres ; et leur buste informe, sur lequel sont fixés des bras interminables, filiformes, prolongés par des doigts raides aux extrémités acérées. Leurs jambes atrophiées sont faites d’une seule articulation terminée par d’énormes doigts écartés aux ongles menaçants ; ou normalement constituées, mais œdémateuses, s’appuyant sur des pieds bots et fourchus !

          Définitivement monstrueux, certains de ces individus, sortes de goules aux seins flasques, portent collés sur leur ventre telles des sangsues, des créatures minuscules  qui pourraient être leur enfant ? Mais, aucun parmi les autres, ne présente de signes extérieurs qui le désigneraient comme appartenant au sexe masculin ; à moins que ce ne soit un de ces êtres en réduction, reliés entre eux par des épiploons exagérément intumescents, et qui, tout en bas, jonchent le sol, piétinés par “ceux” (“celles”) d’en haut ?

 

          Quelle que soit leur “réalité”, le spectateur imagine Hervé Aussant, le nez collé sur ces fantasmagories démentielles, la main mue par un automatisme et une frénésie irrépressibles ; raturant à l’encre noire, repassant, grattant, tachant... diluant au pinceau ses bleus élavés et ses bruns malsains... les atténuant ici pour créer une tache claire qui repousse vers le centre une masse “habitée”... les accentuant dans un angle comme pour rendre encore plus oppressante cette atmosphère claustrale... revenant à sa plume, pour noircir, rayer, contraster de nouveau ses silhouettes hallucinées...

          Parfois, il quitte ses gravures ou ses dessins –les quitte-t-il vraiment ou simplement les transmue-t-il ? -- pour d’autres démons, peints cette fois, hurlant de leur bouche béante, leur peur ou leur douleur ; dans des rouges sanglants qui émergent de lourdes couches de noirs brillants aux accords rageurs, très expressionnistes ; où seul, l’entour des visages est cerné d’un peu de blanc qui fixe sur eux une lumière dure ! 

          Comment Hervé Aussant pourrait-il survivre, s’il ne possédait au bout des doigts et dans son cœur, le triple talent de peintre, de dessinateur et de graveur ? Il n’est guère surprenant que, fixant sur chacun des matériaux les mêmes désarrois, il soit capable des déliés les plus fins, d’instants de la plus intense tendresse ; mais aussi, à d’autres moments, de creuser à grands coups de burins, les pleins les plus durs ! Cette alternance de calme et de déchaînement de violence est sans doute sa réponse implicite au questionnement de ses interlocuteurs ; et le moyen qu’il s’est trouvé pour exorciser ses propres peurs, et son mal-être existentiel !

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999, APRES LE IVe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY.