CARTE BLANCHE A CERES FRANCO : EXPOSITION BIZ’ART

à la GRANDE MAISON de BURES -SUR -YVETTE.

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Cérès Franco
Cérès Franco

Bientôt l’an 2000 ! Cérès Franco pourra alors s’enorgueillir de plus de quarante années de “militantisme” artistique -ce mot pourtant très connoté n’est pas trop fort pour désigner une personne littéralement vouée à des créations difficiles- : oeuvres brutes, naïves, singulières, ou appartenant -a posteriori- à toutes les variantes de figurations qui, elles aussi, ont illustré ces décennies. Mais qui, au moment où la galeriste d’alors s’est engagée sur elles, étaient des créations disparates, oeuvres d’artistes inconnus, dont le seul point commun était d’être talentueux et résolument hors-les-normes : ce qui, en dépit du label “Art contemporain”, les rattache à toutes les mouvances singulières !

Chaïbia Heil Nitkowski Macréau
Chaïbia Heil Nitkowski Macréau

Des étapes importantes ont jalonné le parcours exemplaire de Cérès Franco ; comme sa participation active aux triennales de Bratislava, par exemple, où elle obtenait le Prix de la Meilleure Sélection Nationale, avec les artistes naïfs brésiliens qu’elle proposait. Des manifestations dans de nombreuses capitales (Moscou, Varsovie, Prague, Madrid, etc.), et Paris, bien sûr, avec des expositions, protéiformes et         originales, comme celle d’où naquit le nom de sa galerie : "L’œil-de-bœuf", ou encore "Formes et Magie”, présentée au Bois de Boulogne, "Singuliers, bruts ou naïfs ?”, au Musée d’Art moderne... Et puis, des rencontres, comme celles avec Chaïbia, Eli Heil, Stani Nitkowski... et surtout Michel Macréau qui devait devenir son artiste-fétiche, et qu’elle a soutenu pendant tant d’années où personne ne s’intéressait à son oeuvre !

            Aujourd’hui, Cérès Franco a fermé sa galerie. Et, voici quelques années, réalisé un rêve très ancien : ouvrir un musée où abriter l’importante collection qu’elle s’est constituée et qui, unique, est en fait LE témoignage de l’existence d’une peinture “en marge” de la deuxième moitié du XXe siècle.

Bernabé Smolec Le Bricquir Jakobowicz Cerutti Flatau
Bernabé Smolec Le Bricquir Jakobowicz Cerutti Flatau

            Au printemps 1999, Haude Bernabé, sculpteur, intéressée par cette démarche, a oeuvré auprès de la Municipalité de Bures-sur-Yvette, pour que la Grande Maison, (lieu privilégié, situé au coeur de la ville), soit mise à la disposition de “Cérès-Franco-conservateur”. Celle-ci a donc pu présenter les oeuvres d’une quarantaine de “ses” artistes : Choix cornélien, bien sûr, car tous, de l’adepte de l’Ecole du Saint-Soleil des montagnes haïtiennes, au peintre yougoslave ; des ex-voto brésiliens aux fantasmagories africaines, TOUS auraient mérité d’être là ! Hélas, l’espace imparti n’étant pas extensible, il a fallu être plus modeste ! L’ensemble présenté est néanmoins très représentatif des diverses tendances qu’elle a adoptées et défendues. Qu’elle continue de défendre, d’ailleurs, car des “jeunes” sont présents à Bures, attestant qu’elle continue d’être vigilante !

            Ainsi, le visiteur passe-t-il des créations d’Art brut de Chaïbia, avec ses paysages aux couleurs du grand soleil du Maroc ; à celles, dans des sensibilités différentes mais si pleins de tendresse, de Michel Smolec dont les “petites histoires personnelles” sont pétries dans la glaise et de Haude Bernabé, arrachées à la raideur des métaux de récupération ; situés tous deux à la difficile frontière entre l’Art brut et l’Art naïf. Celles, lourdes, taillées à la hache ou à la tronçonneuse, de qui explore tour à tour le marbre, le bois ou le fer de Jean Rosset, énormes têtes de bois souvent peint, étranges et authentiques communions avec la nature. Ou au contraire, finement découpées, esthétiques et musicales, de Stéphane Cerruti qui, par leur aspect ludique, font le bonheur des “enfants”, petits et grands.

Murua Corneille Mendive Paella Utsumia Antunès
Murua Corneille Mendive Paella Utsumia Antunès

Têtes stylisées de Jacques Grinberg, l’un des fondateurs de la Nouvelle Figuration ; jetées sur le papier comme des visions ; aux couleurs riches, belles et violentes, aux lignes précises et si évocatrices ! Puissamment évocateurs également, les portraits de Joanna Flatau, aux traits austères, aux yeux immenses outrageusement maquillés, aux visages amers et résignés, tourmentés, infiniment solitaires. Créatures-paysages à pieds sécants, aux deux faces complémentaires, proposant dans des teintes chaudes ou froides, le “jour et la nuit”, le “bien et le mal”... de Danielle Le Bricquir, entre légende celte et rêves en couleurs. Stylisées celles de Mario Murua, entièrement couvertes de vibrisses, posées comme des culbutos au fond de quelque aquarium glauque. Entrelacés à l’infini, figures gigognes conçues dans des textures de pelages animaliers, les individus-tatous et les stylisations pictogrammiques, proches des peintures vaudoues, chargées de symboles ésotériques de Bernard Le Nen. Fantasmatiques, velues et mangées de barbes, celles de Manoel Mendive, enchevêtrées à l’égal des lianes qui les cernent ; leurs yeux exorbités comme encore effarées de quelque vision dantesque ! Grimaçants dans des environnements aquacoles, rêves hallucinés, personnages onduleux aux chevelures en flammes ; monstres lourds ou Gorgones menaçantes chez Jean-Marie Martin qui, pour se “ressourcer” a consacré ensuite dix ans de création à des variations poético-picturales sur la magie liée au “Verdon” ! Fragments de rêves, comme jetés dans des espaces-cocons clos, cernés de fleuves obsessionnels, serpentant entre des rives lourdement hachurées, d’Isao Utsumiya. Minuscules gnomes de cartons colorés, réduits aux lignes essentielles, de José de Guimaraes, douillettement posés sur des lits de sisal, fibres végétales, confetti... enfermés dans des boîtes, comme de précieuses reliques contemporaines. Silhouettes à peine ébauchées en des collages presque abstraits, conçus en médaillons, de Janine Mongillat ; près desquels se dressent d’autres petits collages humanoïdes, hérissés de piquants. Et les humains, proches de la réalité, peints dans des figurations souvent inattendues pour lesquelles le seul dénominateur commun est l’urgence de l’action de peindre : Ceux, témoins si dramatiques de misères et de solitudes muettes ; non-vies aux corps inesthétiques, aux peaux fripées, immobiles, visages douloureux... enfermées dans des huis-clos incertains de Jean Rustin, peintre d’une esthétique de la laideur, de l’érotisme désespéré. Cris sans échos, étouffés par les murs infranchissables d’hôpitaux psychiatriques de Marcel Pouget. Ombres hurlant en silence, lovées sur leur souffrance, fondues dans des limbes bruns dont les clairs-obscurs tronquent l’intégrité, de Stani Nitkowski. Fantasmes obsessionnels de Jean-Marc Gauthier, taraudés par le frisson de la mort, n’entr’apercevant que par de minuscules lucarnes des extérieurs cernés de noirs, hachurés, pointillés... à l’image de ses cauchemars.

Macréau Hadad Grinberg Gauthier Picciotto Mongillat Nitkowski Aïni
Macréau Hadad Grinberg Gauthier Picciotto Mongillat Nitkowski Aïni

Personnages-villages aux visages momifiés, yeux sans paupières, nez aquilins et mentons pointus, oeuvres-creusets où fusionnent civilisations improbables et rêveries cosmiques de Marie Jakobowicz. Anatomies morcelées, comme découpées au scalpel, d’Yves Sauvadet, aux têtes rhombiques et sexes carnivores, guettés de serpents et accablés d’yeux obsessionnels. Enormes mains surchargées de peintures en reliefs, placées par

Saülo Mercader à l’avant-plan du tableau, en manière de rempart pour ces corps aux épaules dissymétriques, affligés de visages-masques, à la fois dans et hors le monde des humains. De même que les allochtones chargés d’humour, ludiques, provocateurs et truculents, aux têtes-villes, têtes-nuages...corps-accordéons de Louis Chabaud. Ceux, ludiques aussi, et bon enfant de Baptistantunès, couverts à l’infini de leurs propres images répétitives. Les personnages très androgynes de Philippe Aïni, aux couleurs cruelles, créés dans de la bourre à matelas qu’il appelle ses “éponges à rêves”. Ceux labyrinthiques et foisonnants de Dominique Dumoulin. Morcelés comme des costumes de clowns, de Daniel-Simon Faure, harmonieux, sereins, installés dans des quotidiennetés rassurantes, dans des décors illustrés comme des dessins d’enfants. Ambivalent et fantasmatique, le cosmogone de Simone Piccioto, fait de mille objets disparates, regroupés pour générer un individu à la tête-masque, revenu assurément de quelque voyage intergalactique. Mi-hommes mi-bêtes, mi-ectoplasmes mi-animaux du désert, les créations de Christine Séfolosha, arrachées aux aléas des craquelures de la terre, fruits d’atavismes immémoriaux empruntés à des cultures qui, dès l’enfance, l’ont fait rêver. Rêve encore, avec le monde-oeuf d’Eli Heil, curieux bestiaire coloré, composé de “monstres doux”, créatures nées de son imaginaire fantastique, de ses visions féeriques dont elle affirme qu’elles sont guidées par des puissances extérieures ! Contorsionnés en des nudités incontournables de chairs roses pommelées, les individus filiformes, tentant vainement de s’extraire d’un monde cerné de citations conditionnelles de Paella chimicos. Paradoxalement dichotomiques et fusionnels, ceux d’Yvon Taillandier, protéiformes et débonnaires, évoluant dans des univers d’une grande richesse imaginative, d’une fantaisie débridée. Par opposition, bien “réelles” et érotiques, sont les femmes découpées, comme une main caressante parcourrait leur corps au galbe parfait, de Corneille, l’une en bleu, lascivement allongée, jouant avec un oiseau-papillon rouge-orangé, tandis que l’autre, son double, peut-être, debout et peinte en rouge, joue à... chat bleu !

Marcos Taillandier Rosset Chabaud Jaber
Marcos Taillandier Rosset Chabaud Jaber

Corps de femmes, encore, peintes dans tous leurs états, d’Alejandro Marcos, nues le plus souvent, plantureuses et solides ou au contraire fines et fuselées, adolescentes graciles, corps alanguis de femmes enceintes... dans des ocres qui rendent si bien la couleur de leur peau ! Et puis, dodus et fessus, aux gros yeux ronds, nus sans exhibitionnisme, si curieux et conviviaux, avec une pointe d’érotisme d’Abraham Hadad, scrutant des avant-scènes imaginaires, ou des miroirs, comme à la recherche de leur double qui sera pourtant toujours différent d’eux ! Ce qui pourrait être la préoccupation de nombre des participants de cette exposition, en particulier de Michel Macréau dont Cérès Franco a fait l’artiste emblématique de cette réunion de talents. Michel Macréau et son obsession du corps humain cerné de noirs ; où les giclures du tube de peinture dévoilent les intimités, fouissent les entrailles, torturent les sexes, explosent les coeurs... où des calligraphies enfantines sinuent parmi les turgescences et les béances mal recousues des personnages, prolongent leurs délires et leurs naïvetés, les fulgurances de leurs accouplements ! Michel Macréau dont la violence picturale rédhibitoire a fait --fait encore-- trop souvent un peintre maudit ! Et qu’il est bon de voir entouré de tous les autres qui ont droit de cité sur ces cimaises.

 

            Une belle exposition, vraiment, qui a drainé vers cette Grande Maison située en banlieue parisienne, un public enthousiaste. Une évidence culturelle si puissante que la municipalité de Bures-sur-Yvette lui envisage des lendemains. Et que la Cinquième Chaîne lui a consacré un long temps de ses Ecrans du Savoir. Moment de grande émotion et de fierté pour Cérès Franco à qui, en 40 ans, les médias oublieux des marginalités, ont trop rarement tendu leurs micros !

          Gageons qu’un autre de ses rêves prendra corps, un jour : investir un bâtiment si immense que chacun de “ses” artistes y posséderait son étage particulier : Ne s’agit-il pas là d’une vision moderne de la Tour de Babel ?

                                                                                  Jeanine Rivais.

 

ASSOCIATION CERES FRANCO D’ART CONTEMPORAIN : 12 rue des Remparts 11220. LAGRASSE.