CORINNE BECOT, sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais.

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                Jeanine Rivais : Corinne Bécot,  nous nous étions déjà rencontrées à Banne, il y a plusieurs années.

            Corinne Bécot : Cinq ans, oui !

 

            JR. : Il se trouve que votre travail a complètement changé, du moins par rapport à ce qui en reste dans mon souvenir. Pouvez-vous me rappeler si vous êtes venue ici comme artiste Singulière ou contemporaine ?

            CB. : Je ne me sens pas forcément Singulière, plutôt contemporaine. J’ai du mal à me situer, me donner une étiquette, parce que mes sources d’inspiration sont très variées. Je ne sais pas trop où me placer en fait. Je me laisse aller au gré de mes impressions, mes idées, mes émotions…

 

            JR. : Mais quand vous venez ici, dans ce cadre Singulier, vous vous sentez bien ?

            CB. : Oui, tout à fait.

            JR. : Pouvez-vous m’expliquer votre démarche depuis cinq ans ?

            CB. : En fait, l’esprit n’a pas changé. Ce sont des archéologies, des traces, des objets que je peux trouver, qui ont un passé, une vie. Et que je réutilise, en préservant ce passé, cette vie. En les réinterprétant autrement.

            Il y a cinq ans, j’utilisais essentiellement la céramique. Je travaillais donc la matière. Maintenant, je mélange les matériaux de récupération : bois, métal, plastique, que j’assemble et que je réutilise pour leur donner une autre vie.

 

            JR. : Je vois que, tout de même, vous n’avez pas renoncé à l‘idée de placer vos objets au sommet de sortes de piliers : comment les appelez-vous ?

            CB. : Ce sont des fiches, des vestales, des totems. Pour moi, la verticalité est très importante. L’idée d’avoir les pieds bien en terre, et d’aller plus haut. Non pas que ce soit une idée religieuse, mais c’est une aspiration à être meilleur, à évoluer vers la sagesse peut-être ?

 

            JR. : Il ne faut donc pas retenir l’idée de pilier, mais de personnage vertical très longiligne ?

            CB. : Voilà. Dans certains cas, je retiens tout de même le côté symbolique, mystique du totem. Mes inspirations sont vraiment sur l’archéologie, l’Art africain, les arts primitifs…

            JR. : Nous venons de dire que certaines de vos œuvres sont longilignes, donc je me répète. Mais en fait, vous intervenez peu sur vos trouvailles. Vous intervenez seulement sur la couleur…

            CB. : En fait, je laisse parler la forme que je trouve, dans la mesure du possible. Parfois, je triche un peu, j’arrondis un angle… Mais la plupart du temps, c’est le choix de l’objet qui va me donner l’idée de la pièce. J’interviens dessus, mais je ne la transforme pas.

 

            JR. : Par contre, d’autres sont conçus différemment : les piliers sont sophistiqués. Vous avez beaucoup travaillé le dessus. Certains sont même faits d’accumulations de couleurs différentes.

            CB. : Là, il s’agit d’un travail plus ancien, uniquement de céramiques, des couches de matières, comme des strates. On revient donc toujours au passé. Chaque couche est une matière différente que j’ai travaillée. C’est vraiment un travail technique céramique.

            JR. : Personnages longilignes déjà évoqués, ou totems, vous avez chaque fois au bout un minuscule personnage. Pourquoi ce parti pris de têtes si petites ?

            CB. : Parce qu’elles sont situées tellement haut que l’on a du mal à les voir. Elles "paraissent" toutes petites. Non, ce n’est pas parce qu’elles n’ont rien dans la tête !! Au contraire, c’est pour accroître l’impression de hauteur.

 

            JR. : Vous avez en somme voulu créer une sorte de perspective ?

            CB. : Tout à fait.

 

            JR. : C’est donc au visiteur de se dire : Ce pilier est immense. Je vois la tête à mon horizon céleste… ?

            CB. : Voilà !

 

                JR. : Ce visiteur doit donc faire preuve d’imagination.

            CB. : Oui. Ce que j’espère, c’est que chacun fasse preuve d’imagination en fonction de ce qu’il est, de sa subjectivité. Je ne souhaite pas créer une situation qui s’imposerait. Ce que je veux, c’est une interaction entre ma sculpture et le regardeur.

 

         JR. : L’essentiel de vos préoccupations concerne donc les humanoïdes, en fait. Pourtant, l’un de vos personnages est bardé de fils de fer, un autre ressemble à un gros poisson… ?

            CB. : Ce n’est pas un poisson. Mais c’est ce que je viens de dire : vous y voyez un poisson, et c’est très bien. Ce que j’ai voulu chercher, c’est vraiment la trace humaine. Tous ces objets ont eu une vie avant, certains sont rouillés, certains sont des ressorts, d’autres sont écrabouillés… Mais de leur vécu, naissent mes émotions mes inspirations, mes émotions. Il est important pour moi de montrer que ce ne sont pas que des déchets, que des rebuts, qu’ils ont été utilisés par l’homme, même si à un moment il les a abandonnés. Et moi, par mon regard, je les ai ramenés à la vie. J’ai une grande tendresse pour tout ce qui est rouillé, usé… Je ne sais pas si c’est très clair ?

            JR. : Tout à fait. C’est d’ailleurs la démarche de tous les authentiques artistes d’Art-Récup’.

Je vais me faire l’avocat du diable, et vous affirmer que ce morceau de fil de fer n’était pas à l’origine écrasé sur ce morceau de métal rouillé.

            CB. : Non. Je les ai trouvés séparément. Puis je les ai assemblés. Je n’ai fait qu’un assemblage d’objets.

Il est toujours difficile de parler de son travail, parce qu’on a mis tellement de sentiment, de psychologie dedans ! Le mien évolue sans cesse. Il prend des orientations qui ne sont pas encore très précises, il m’est difficile d’en parler.

 

                JR. : Alors rendez-vous une prochaine fois ! Rendez-vous dans cinq ans !

 

ENTRETIEN REALISE AU FESTIVAL DE BANNE LE 2 MAI 2008.