Quel enfant n'a été un jour, tenté de réaliser des “boudins" de pâte à modeler, de “chantourner" sur une plaque, les contours bien ronds, bien réguliers d’un bonhomme ou d’une fleur ; et de s'apercevoir, en essayant de les retourner sur sa main, que l’arrondi est devenu plat, que la pâte s'est craquelée, que la tête est de guingois...bref, que la fleur ou le bonhomme ne sont pas parfaits, qu'il faut donc recommencer !

          C’est exactement la façon dont procède Thierry Le Baler. Mais si l'esprit est semblable à celui du travail d’enfant, la démarche correspond à une réflexion longuement élaborée, dont l’humour n’est pas absent, prouvant à quel point un artiste peut être modeste et imaginatif, lorsqu’il veut matérialiser ce qu'il a dans la tête : Pour lui, l'humour consiste à se servir de matériaux réservés à des constructions banales et, tel un pâtissier, à user d’une poche à douille ! Elle lui permet de déposer avec précision sur un support, à l’intérieur d'un encadrement, des arabesques de plâtre ou de béton fluides colorés de pigments ; dessiner avec ces matières malléables, avant qu'elles ne sèchent, "portraits”, personnages, animaux, écritures, etc. Puis, dans un second temps, couler sur ces "sculptures", du plâtre blanc ou du béton gris qui vont s’immiscer dans les moindres recoins. Laisser sécher, et démouler !

          Là commence la surprise ! Car l’artiste s’est appuyé sur un support vulgaire, papier ou plastique, dont les plis, les irrégularités sont reportés en creux sur le "tableau" sec; l’arrondi des "douillons" s’est aplati, des éléments ont bougé, entraînés par le flux plâtreux... C’est donc sur cette création "imprévue" qu’intervient Thierry Le Baler. Il superpose des sous-couches de peinture irrégulièrement absorbées ou repoussées par le matériau poreux, afin que leurs épaisseurs et leurs consistances hypothétiques fassent vibrer la couche finale, y créent des accidents qu’exploite l’artiste. Il griffe, gratte certains passages, dégage des lignes trop ténues, intègre l'ensemble dans un cadre définitif de la même couleur que cette céramique d'un esprit nouveau, dans le but à la fois de l’agrandir et la maintenir dans une géométrie. Car, pour le reste, il n’a, dans son multiple dessein, aucun "repère" déterminant : Vu les matériaux utilisés, il lui faut jouer sur la rapidité, composer des dosages incertains ; et, dans l'œuvre obtenue, accepter la forme inachevée, le motif avorté, la création aléatoire. De ce fait, sa volonté d'exploiter l’envers comme s’il se regardait dans un miroir, relève d’un pied de nez analogue à celui des Marx Brothers évoluant devant une glace inexistante et découvrant finalement que leur "double” est infidèle, qu’ils sont victimes d'une supercherie ! Laquelle, chez Thierry Le Baler, atteint son paroxysme lorsque le dessin est un texte : le résultat est une sorte d’écriture automatique, rédigée d'une main dyslexique. Ayant perdu leur sens, sans pour autant perdre leur rythme, les mots semblent extraits d’un langage étranger ! Il faut ajouter, dans ce cas, les tentatives de l’artiste de rendre invisible le support de façon à donner à ces textes l’air de flotter dans l’espace.

          Ce qui relève de la gageure. Et atteste qu’en poursuivant ce rêve impossible, il n'a décidément pas choisi la facilité. Il est toujours sur la corde entre maîtrise de sa création et résultats aléatoires ; définition de ses œuvres, peintures en relief ou sculptures plates ; finesse de sa créativité et grossièreté des matériaux choisis ; ambiguïté entre figuration voulue à l'origine et abstraction provo¬quée par les aléas ; incohérence apparente entre création en relief et (du fait de l'opacité de l'œuvre) parti-pris de reproduction négative ; décision de ne réaliser que des séries très limitées pour éviter la routine... Une seule démarche sage et rassurante (donc antithétique du reste), le cadre évoqué plus haut, qui canalise cette boulimie de hasards.

Gageons que, lorsque l’artiste sera "disponible" pour jeter aux orties le cadre et le support, ou en créer d'aussi fous que le corps de l'œuvre, naîtront paradoxalement des certitudes. Le négatif s'inversera, le rêve cessera donc d’être impossible car le double deviendra fidèle : une écriture bien “lisible” flottera désormais dans le ciel bleu de Thierry Le Baler...

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1995 ET PUBLIE DANS LE  N° 42 D'OCTOBRE 1995 DE LA REVUE IDEART.