LES ETRANGES ALLOCHTONES DE REMI GERAUDIE, sculpteur

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S’agit-il, pour Rémi Géraudie, de s’évader d’un quotidien contraignant ? Ou bien, cet artiste a-t-il gardé son âme juvénile et continue-t-il d’être friand de ces histoires à la fois drôles, énigmatiques et très manichéennes dont raffolent les enfants ? Ou encore, plus gravement, est-il l’ethnologue imaginatif de peuplades étranges qui seraient, pour les Terriens, des mutants ? 

Toujours est-il qu’il est l’auteur d’une véritable mythologie très personnelle d’allochtones humanoïdes venus d’un monde de contes merveilleux dont les polychromies explosent comme des soleils et dont, l’habit faisant le moine, ils sont « forcément » les héros « gentils ». Car, malgré leur raideur, se dégage d’eux une grande convivialité : au-dessus de leurs corps puissants, taillés à l’emporte-pièce, leurs visages sont indifféremment ronds, carrés, tarabiscotés… tantôt étonnés, tantôt rigolards ; parfois un tantinet sérieux, et toujours bon-enfant. Et leurs anatomies  massives et sophistiquées, faites de mille ajouts aux formes variables, sont posées là, face au spectateur, avec une tranquille certitude.

Un monde dans lequel se sont développés des liens sociaux, et surtout des rapports familiaux; plaçant côte à côte le « mari », la main posée sur la tête de son « fils » ; tandis que, de l’autre côté, se trouve en bonne place, le « portrait » de l’« épouse »… Parfois, l’osmose est si totale que les trois personnages sont fondus en un seul ! D’autres fois, pourtant, ils sont isolés, bien carrés sur leurs pieds énormes, uniques, triples ou quadruples. Et leur gigantisme, leur hiératisme leur confèrent alors le rôle de totems posant sur la société contemporaine, leur ombre tutélaire.

Car l’univers de Rémi Géraudie, aussi intime et chaleureux soit-il, n’est pas seulement ludique. Et si ses protagonistes semblent constituer autant de jalons précieux de ses vagabondages fantasmatiques auxquels il incomberait de faire rêver quiconque les « rencontre », ils semblent en même temps avoir pour rôle de clouer au pilori une civilisation de consommation et de gaspillage qui ne convient apparemment pas à l’artiste : Réalisés avec des objets de récupération, chacun de leurs membres ou de leurs organes a été retravaillé, peint et ornementé avec beaucoup de patience et d’amour ; réuni à d’autres en parfaite harmonie ; comme si une fois terminés, ces individus tout neufs malgré la vétusté de leurs composants, allaient mentalement pointer un doigt accusateur vers le visiteur pour lui dire : « Regarde ! Regarde comme nous sommes beaux ! Vois ce que, des déchets d’autrui, de tes rejets peut-être, a créé notre géniteur ! »

Et il est vrai qu’ils sont beaux ! D ‘autant que rien de gratuit, aucune facilité qui jouerait sur l’attirance générée par la couleur, n’a présidé à leur conception. Comme un mathématicien coloriste, l’artiste raisonne, compose telles des équations, ses jeux de nuances (certains visages n’en comptent pas moins de sept ou huit), ajoute des croisillons, superpose des formes, jusqu’à ce que prévale le charme absolu de ces couleurs de feu et d’eaux, de ces luminosités intenses, de ces rouges flamboyants et de ces verts glauques… combinés à d'infimes touches d'ocres pâles, à des dégradés de gris et de bruns : mêlant en somme de grands cris triomphants à de précieux moments de silences, des espaces d’intense animation à des plages de repos : n’est-ce pas là  l’image de la vraie vie ? Et chaque personnage ne devient-il pas à lui tout seul une véritable histoire ? 

Car la démarche de Rémi Géraudie est plus littéraire qu’architecturale ! Mais une littérature infiniment poétique ! Une poésie qui se situe dans la tendresse et dans l’humour ! Une écriture scripturale jubilatoire qui émoustille l’imaginaire du spectateur, le ramène lui aussi aux jours heureux de son enfance. Et, dans le même temps, l’emporte vers les lointaines galaxies où règnent les plus folles fantasmagories et où se retrouvent les véritables créateurs.

Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2003, APRES LE IIIe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY.