LES REVES D’AFRIQUE DE JEAN-PIERRE CLEMENT, sculpteur

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Qu’est-ce qui, au début du siècle, a généré l’engouement des artistes les plus à la pointe de la révolution picturale (Picasso, Breton, etc.) pour la sculpture africaine ? Hormis l’aspect esthétique, la pureté de ses lignes sobres, son originalité hardie et son vigoureux sens du mouvement, son expressionnisme à la fois féroce et terrifiant et la sérénité de son rayonnement, il y avait bien sûr sa valeur de symboles rituels, de vecteurs conjuratoires ou attentatoires. Il y avait aussi l’intensité du dépaysement dont elle était porteuse : Pour la première fois, des créateurs s’ouvraient à une culture "autre", revendiquaient l’influence qu’avaient sur leur imaginaire des statuettes créées par des êtres réduits trop souvent à l’esclavage le plus abject !

Près d’un siècle après ces "découvertes", Jean-Pierre Clément semble avoir retrouvé semblable fascination. Œuvre après œuvre, il refait psychologiquement le chemin "vers" l’esprit qui initia ces créations. A l’instar de tant de gens, et pas seulement des artistes, il remonte bien plus loin encore pour retrouver avec ses créatures de terre, les peurs ataviques et les rêves ancestraux. Africanisantes, ses sculptures le sont en effet; immenses personnages négroïdes, aux visages épatés et grosses lèvres lippues, aux silhouettes trapues et arc-boutées comme ayant encore de la difficulté à se dresser tout à fait ; aux longues cuisses puissantes et musculeuses pour les hommes; lourdes, supportant des hanches larges destinées à procréer, pour les femmes; tous dotés d’une peau presque "vraie", noire et luisante de sueur ; ou brun foncé aux reflets cuivrés, comme brûlée de soleil, tavelée, grumeleuse parfois.

Peut-être faut-il, à ce stade de la description, en venir à l’érotisme qui se dégage de ces personnages ? Il est évident dans la tendresse manifeste, la complicité établie entre un homme assis à même le sol, armé pourtant d’un tranchet, mais dont il se sert sans brutalité pour scarifier une femme à genoux près de lui, lui abandonnant son magnifique corps d’ébène en une attitude de confiance amoureuse ! Par contre, s’agit-il bien d’érotisme, et non d’attitudes primales inconscientes, chez ces femmes cuisses ouvertes, pubis obscènes aux poils drus offerts à tous les vents, ou retenant à pleines mains leurs énormes mamelons, le visage enfoui sous les crins gras et embroussaillés de leurs chevelures rouquines ; chez ces hommes groupés en des attitudes provocantes, prenant la pose pour faire ressortir avantageusement leur phallus, brandi vers le ciel peut-être, vers leur nombril sûrement, en une sorte d’égocentrisme bravache ? Et il est assurément absent d’autres corps, nus sauf pour des cache-sexe blancs, totalement incongrus sur les peaux maties par des applications de terre grise !

Ce sont surtout ces derniers qui amènent le spectateur à considérer un autre élément de l’œuvre de Jean-Pierre Clément : l’aspect malsain de ses créatures, têtes encagoulées et pieds engoncés dans des bottes occidentales ; ou dissimulées derrière un masque blanc, main brandissant une dérisoire balayette de cabinets ; vêtues de fibres végétales engluées d’on ne sait trop quelle matière qui rend ces pelages sales et repoussants ; ou encore corps et membres couverts de peintures blanches qui pourraient être rituelles, mais dont la surabondance supprime l’idée de sacré. Même les cimiers de grossière toile de jute surmontée de bois sans imagination, les visages grimés de blanc aux lèvres surchargées de rouge et aux yeux vairons, les grigris tintinnabulant sur les tuniques sans grâce... produisent par leur excès même, cet effet de répulsion !

En somme, chez Jean-Pierre Clément, l’habit ne fait pas le moine! Car, dans le temps où il confère à ses personnages une tournure africaine, il cherche, par la dérision, à se libérer du poids de millions d’années, de civilisations révolues : il revisite, en somme cette Afrique, il en secoue le joug comme on secoue les épaules pour se défaire d’un rêve rémanent. Enfin, prenant du recul, il se rit de lui-même, et joue de ses fantasmes pour créer sa propre statuaire tellement personnalisée !

Ainsi, entre rituel et grotesque, l’artiste fait-il de la vie un théâtre. Et, sur cette scène qui se voudrait fixée aux racines les plus profondes puisque remontant aux origines de l’homme, il joue avec une rare violence, une pièce à la fois bouffonne et tragique: Ce qui est gage d’une création authentique et originale : car, n’est-ce pas là, par excellence, la position inconfortable de tout artiste en quête de lui-même ?

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2000 APRES UNE MAGNIFIQUE EXPOSITION DES ŒUVRES DE L'ARTISTE AU CENTRE REGIONAL d'ART CONTEMPORAIN. Château du Tremblay;FONTENOY (89520.)

Site de l'artiste : http://clement-sculpteur.fr