TEMOIGNAGE ET CULTURE

DANS L’OEUVRE DE JEAN-CLAUDE AGOGUE (peintre)

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          Un artiste peut-il se situer fondamentalement hors du temps, hors des aléas socio-politiques dans lesquels se déroule sa propre vie ? Beaucoup le revendiquent, d’aucuns y aspirent ; d’autres, au contraire, s’en imprègnent et, à leur façon picturale, veulent en témoigner, voire les dénoncer : tel est le cas de Jean-Claude Agogué. 

 

          Que ses oeuvres se situent hors du temps, le visiteur ne peut que s’en réjouir pour avoir vu trop souvent des “peintures politiques” usées avant même d’être sèches, parce que trop connotées, trop liées à l’actualité ! Qu’elles se veuillent néanmoins comptables de la misère du monde est plutôt sympathique, par la façon dont le peintre y “voyage” avec une précision de dentellière : d’exquises dentelles reviennent d’ailleurs souvent sur ses toiles, créant au milieu de ses univers gris, ses murs lépreux et ses écologies détruites par l’homme, de délicats moments d’intimité. Car il passe de l’infinie solitude d’une vieille femme drapée dans une couverture, article (aussi) décodé que le trognon de pomme posé près d’elle ; à celle, affalée sur le même trottoir d’un clochard aux “baskets” éculées, égrenant ses cigarettes près d’un sac poubelle surmonté d’un Christ, etc. 

 

         Cependant, le misérabilisme n’est pas le propos de Jean-Claude Agogué. Il s’intéresse aussi aux travers de ses contemporains. Et, doté d’une grande culture, il connaît les oeuvres de ses prédécesseurs, les parodie parfois, frôle le surréalisme, remplace dans "Attente musicale" la tête du mélomane par un poireau aux racines échevelées ; joue les pince-sans-rire en nichant tel personnage dans des feuilles de choux s’il estime que récemment, la presse lui a “raconté des salades” et que par voie de conséquence, "L’Homme est un gland", etc. 

 

Il fait également souvent appel à une symbolique très personnelle, comme cette chaussette à la semelle en “8” (l’infini) pendue devant une fenêtre qu’une main placée en off est en train de murer. Ou cette scène tragique, d’un enfant uni-jambiste appuyé sur des béquilles, qui passe, masqué, entre un Pinocchio progressant au pas de l’oie et un Casque-Bleu-pantin-articulé ! Cependant que les yeux bleus de sa naine noire attestent de la vitalité des relations interraciales ; et qu’en haut de piliers semi-détruits situés à l’avant-plan d’une forêt brûlée, se trouve un nid abritant des œufs... la vie malgré tout ! 

 

    On pourrait citer à l’infini ces paradoxes qui, chez Jean-Claude Agogué jalonnent l’oeuvre souvent malsaine à force d’intensité ; transforment le spectateur en voyeur ; l’entraînent dans des histoires fictionnelles saugrenues ("Les deux Courges") ; l’associent à des démarches froidement humoristiques ; le conquièrent finalement par la force et la sincérité du propos, la richesse de la technique... 

 

créent l’émotion lorsque le respect et l’amour obligent l’artiste à se dépersonnaliser, prendre le nom de sa grand-mère : s’appeler Le Scaon pour retrouver la magie ancestrale ; la noblesse de ce nom revendiqué corroborant alors celle de son éthique picturale ! 

Jeanine RIVAIS

 

Jean-Claude Agogué dit Le Scaon.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998.

 CE TEXTE a été publié dans IDEART N° 57 DE MAI 1998.