INES ANDOUCHE ET SON DOUBLE

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          Depuis des années, Inès Andouche fréquente les ateliers du Centre psychiatrique de Hemptine, en Belgique. Et les illumine de ses multiples créations de personnages dessinés, installés pleine page, dans toute la sérénité de leur tranquille assurance.

          Non que ses créatures soient complètement issues de son imaginaire. Car, en général, elle puise supposément son inspiration dans des revues. Mais il est saisissant de voir comment, à partir d’un “modèle” qui, au fond, n’est “cherché” que pour se sécuriser, et “reproduit” sans souci de similitude, mais avec un étonnant respect de la gestuelle de l’image originelle, elle crée parfois avec plusieurs variantes, un sujet bien à elle ; réinvente le monde, en somme. Se succèdent sur le papier, dans un style absolument personnel, le torero et à côté de lui, minuscule, le picador ; la femme au turban et sa duègne; l’homme et ses oiseaux, l’un posé sur son épaule, l’autre sur sa cuisse ; etc. 

          Car, de même  qu’à demeure, un éducateur veille sur Inès Andouche, de même ses personnages ne sont-ils jamais seuls : “quelqu’un”, - personne, animal, oiseau, insecte-... les accompagne : un  alter  ego plus petit ? Un compagnon ? Un ange gardien, peut-être ? 

          Forte de cette présence réconfortante, elle brosse à gros traits noirs des êtres très équilibrés, placés face au spectateur ; emplit de couleurs vives au pastel gras, les espaces entre les silhouettes ainsi campées ; couvre d’une seconde couche la première, vêtant ainsi ses créatures de grandes harmonies colorées. Mais chaque fois, elle laisse de part et d’autre de la ligne délimitant le vêtement ou le visage, non pas une seconde ligne, mais un mince filet de la première couche. Et, grâce au sens inné qu’elle possède des complémentarités de couleurs, elle fait joliment vibrer l’ensemble,  génère une sensation de multiple polychromie, alors qu’en fait, elle n’use au plus que de trois couleurs ! Enfin, elle signe INES, parfois à plusieurs reprises, comme si ce seul prénom avec un énorme point sur le “i” la définissait tout entière, et se devait d’occuper une place importante sur le fond de l’oeuvre passé à grandes plages claires fondues ensuite à l’estompe !

 

Très concentrée sur sa création, véritable artiste, Inès Andouche affirme d’autant plus son originalité qu’elle n’a jamais essayé d’investir l’espace en scènes narratives destinées à compenser picturalement son “non-dit” ; mais seulement (ce mot n’ayant rien d’esthétiquement limitatif) avec ces personnages évoqués ci-dessus, porteur d’un potentiel de “vie” tellement puissant ! Par voie de conséquence, chaque dessin suscite une émotion si prégnante que le spectateur n’a plus qu’à créer sa propre histoire à partir de  l’évidence tellement incontournable qui lui est proposée ! 

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2000.