LA COMEDIE EN NOIRS ET BLEUS de Jean-Marc GAUTHIER, peintre.

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          De l'ennui mortel ressenti à l'école ; de sa volonté de rupture avec un système dont il réprouve violemment l'incohérence ; d'un besoin quasi-psychiatrique d'échapper à sa famille, à la société. Jean-Marc Gauthier a, peu à peu, fait émerger sur la toile "une histoire qui commencerait bien et se terminerait en drame", conçue dans un feu qui est. selon les jours, havre de paix où creuset infernal. A trente ans, il a conscience du fait que son œuvre picturale est totalement imprégnée de ses problèmes ; qu'à son corps défendant, l'artiste en lui tel un médium, garde la mémoire de ses morts, est le véhicule où leurs fantômes se débattent pour exister. Ainsi, pour conjurer toutes ces forces qui le tiraillent, l'écartèlent, doit-il les reproduire de façon obsessionnelle sur la toile, et définit-il sans ambiguïté sa peinture comme “un art né de la folie", arraché à la mort : comme le seul moyen qu'il ait trouvé pour leur échapper. Par voix de conséquence, chaque œuvre, partie d'une impulsion réaliste, d'une expérience vécue, plonge irrémédiablement dans une sorte de délire surréaliste au gré des fantasmes et des angoisses du peintre ; ou devient une scène éro¬tique sur laquelle passe le frisson de la mort.

          Tout cela est traduit à lourds traits de pinceaux chargés de peinture "sale", formant des fonds noirâtres ou bleu-foncé qui servent de contrepoints aux bleus plus lumineux, plus mouillés des protagonistes de ses "mises en scène". Comme "les Nègres" de Jean Genet. l'artiste se veut toujours plus "noir" ! Pour ce faire, il renforce les contours de ses personnages, les cerne à gros traits ; couvre les fonds de hachures, de multiples scarifications ; mutile têtes et membres à coups de longues aiguilles...

          Récemment, des besoins de verticalité se sont traduits par d'étranges "sculptures" : longs piquets sur lesquels l'artiste a fiché des têtes (réelles) d'humains, de chèvres, des racines chantournées, bifurquées comme celles de la mandragore ; et pour mener au bout de la dérision ce qui, à l'origine, pouvait être ludique, il a intitulé la série "Sainte Famille" ! Dernièrement, des "Natures Mortes" (encore !) étaient en fait dans de minuscules lucarnes ou sur des plats :  les mêmes impossibles "personnages" que dans les grands formats.

 

          Parfois, à bout de délire peut-être, le peintre rétablit une sorte d'équilibre en ajoutant des flèches, des syllabes ou des mots, des petits pantins, des spirales ou des formes géométriques... : rêve "possible" transcrit par quelque écriture automatique ? Ces ajouts plus calmes, plus colorés, ses passages sans connotation bien définie, sont-ils la résistance de l'artiste à ses fantômes, le moyen pour lui de prouver que ces angoisses jetées sur la toile ne sont pas, tous comptes faits, "une histoire de fou racontée par un fou" ? (¹)

Jeanine RIVAIS

(¹) Shakespeare

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 37 D'AVRIL-MAI 1994 DE LA REVUE IDEART.