Est-ce en compensation de son enfance désolée que Monique Le Chapelain a pris l’habitude de mettre en marge une réalité trop dure, et partir vers des mondes imaginaires, où évoluent de belles dames et des animaux adaptés à sa fantaisie ?
Il est inexact, d’ailleurs, de dire qu’ils “évoluent” dans son monde végétal, car ils sont statiques, les jeunes filles de face comme regardant le spectateur ; posant peut-être devant une caméra visible d’elles seules, comme si “être regardées” était leur unique souci ! Quant aux bêtes, elles sont de profil, insérées, encadrées comme en un jardin luxuriant d’arbres systématiquement disposés aux bords latéraux de la toile, et de plantes à profusion ! Si bien insérées, si bien encadrées, que parfois les fleurs ont l’air d’être issues de leur dos, de leurs pattes ou leur mufle, en de curieuses anaphores picturales !
Non moins curieuses anatomies, d’ailleurs, partant toujours d’une réalité (un éléphant, un papillon, un chat....), mais raccourcies ou allongées, dos rond ou cou démesuré... stylisées à l’extrême, réduites à un unique trait épais qui les silhouette sur le fond. Aussitôt campées, l’artiste les nantit d’ailes, de trompes sinusoïdes ou d’antennes curvilignes ; de larges éventails crâniens aux teintes concentriques comme des arcs-en-ciel ; de crêtes dorsales épineuses ; de pattes dentelées ou raidement posées dans l’espace : les animaux de Monique Le Chapelain, ailés ou non, ont ainsi toujours l’air en lévitation ; à moins qu’exceptionnellement, les pieds à trois doigts d’un écureuil ou le ventre arrondi d’un oiseau... ne reposent “sur” un parterre de fleurs.
Car le monde de la créatrice est sans perspective, comme si l’essentiel étant installé au centre, les autres éléments, délimitant l’horizon clos de son lieu de vie, prenaient du coup la même importance ; se devaient donc d’être tous sur le même plan architectural du tableau.
Et traités chaque fois de couleurs vives, en larges aplats juxtaposés laissant la trace de chaque passage du pinceau ; créant des sortes de “nuages” sur le corps massif de l’éléphant ; des ocelles irrégulières sur les lourdes ailes rouge-vif des papillons ; des plumetis sur le dos de l’écureuil ; des plages bicolores sur les pétales des fleurs ou les larges feuilles pointues...
Et sur les jupes des jeunes filles, étalées comme au temps des crinolines ; sur leurs corsages à grosses manches à bouillonnés. Seuls, leurs longs cous et leurs minuscules visages sont monochromes, comme couverts d’un maquillage uniforme. Sauf, et c’est inattendu, lorsque ce visage n’est qu’un cerne semblant isoler du fond, la face qui en serait pourtant partie intégrante.
Toujours seules, ces jeunes filles, au milieu de la toile, dans toute la splendeur festive de leur toilette de bal froufroutante ! Et il apparaît qu’elles danseront sans partenaire, car l’homme est une espèce inconnue dans le monde de Monique Le Chapelain ! S’il est parfois suggéré ? toléré ? il n’est que minuscule, là, dans un petit coin, ou tout au haut d’un arbre, transformé en chat ; ou en moustique parce qu’il faut le cantonner symboliquement dans son rôle de bestiole irritante !
Des centaines de toiles colorées rendent ainsi compte de l’obsession, la passion de l’artiste à rester dans son monde édénique ; peindre encore ; peindre toujours comme l’on va à la fontaine ! Par un besoin inextinguible de se désaltérer ! Vivre au milieu de son bestiaire si personnel ; avec ses fantasmes si intimes ; dans son univers parallèle tellement harmonieux qui l’entraîne chaque fois très loin du quotidien ! Des toiles qui font de cette oeuvre picturale un grand hymne à la joie ; et de cette peintre autodidacte une créatrice très originale.
Si originale qu’elle est finalement impossible à classer : L’un est tenté de dire qu’elle est une artiste naïve, à cause du côté instinctif de son travail, de l’ingénuité des thèmes abordés : Pourtant, vu la manière dont elle transcrit les éléments de sa propre réalité poétique, un second la dira plus proche des Primitifs. Mais un autre rétorquera que le rôle de l’humain est complètement détourné ; qu’il ne s’agit pas ici de témoigner d’une civilisation, d’une culture, d’une quelconque ethnographie puisque n’ “existent” que des femmes et des animaux, sans autre fonction que d’être là.. Quelqu’un parlera-t-il alors de l’art des enfants, à cause de la raideur du trait et de l’extrême simplification des “mises en scène” ? La réplique est facile : loin d’être une phase transitoire, chaque création de cette artiste est empreinte, à travers sa clarté sereine, d’une fantaisie définitive et récurrente ! Au fond, qu’importe à ces visiteurs, charmés de la permanence créative de Monique Le Chapelain, de la grande joie, l’exubérance, la féerie et la passion cohérente qui cohabitent dans cet univers ! N’est-il pas mieux que nul carcan ne puisse enfermer son insatiable plaisir de peindre qui projette ainsi vers l’infini les frontières de ses rêveries ?
Jeanine RIVAIS
Monique LE CHAPELAIN : Oeuvres au Musée de ZWOLLE (Hollande) et de BEGLES (Gironde).Neuve Invention de LAUSANNE (Suisse).
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998 ET PUBLIE DANS E N° 63 D'OCTOBRE 1998 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.