Drôle de couple que ces Moiziard, amateurs de vieilles maisons perdues au fond de vallées enfouies dans les grands bois ; de vieux meubles portant la patine de milliers de mains depuis longtemps disparues ; de vieux bibelots dont ils ignorent parfois quelle a pu être leur utilité. Et surtout artistes de la tête aux pieds : comédiens, chanteurs avec deux belles voix, celle de Jean se situant assez haut, vibrante, parfois un peu acide, d'autres fois veloutée ; celle d'Andrée sachant être douce comme une confidence, ou un peu gouailleuse, donnant aux chansons qu'elle interprète un balancement de ritournelle. Et surtout artistes plasticiens talentueux ; mais modestes, cherchant toujours, se posant des questions sur la profondeur de leur investissement ; complètement étrangers à toute forme de mercantilisme, malgré une situation financière continuellement bancale. Elle, peintre naïve d'une grande inventivité ; lui, peut-être pas sculpteur au sens où il retouche peu les objets de récupération dont il se sert, mais créateur d'installations minuscules qu'il met sous globes. Aucune animosité, aucune tentative d'influence, de préséance, aucune trace de jalousie sous-jacente : chacun respecte absolument la création de l'autre : ce couple a véritablement développé une harmonie amoureuse et picturale à faire damner un saint !


LA VIE SOUS GLOBE DE JEAN MOIZIARD, sculpteur

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          Compositeur de musiques par goût inné des rythmes et de leurs harmonies ; chanteur de chansons à textes style rive gauche, pour exprimer un spleen dans la société contemporaine, Jean Moiziard est aussi peintre et sculpteur. En fait, ces quatre passions s'enchaînent comme une façon de vivre, une démarche poétique, un état dans lequel il a besoin d'exprimer son moi profond, en donnant leurs lettres de noblesse à des idées populaires pour les deux premières ; à des objets de rebuts pour les secondes. Elles sont l'écho d'un besoin de se prouver qu'il existe à l'unisson de ses aspirations, d'expliquer quelque chose de vital que cet ours bourru  ne pourrait pas dire autrement : une façon d'exprimer sa nature d'artiste ! 

D'ailleurs, loin d'avoir choisi la voie royale pour manifester son talent, il a opté pour un chemin marginal. Ainsi n'est-il pas peintre au sens traditionnel du terme, puisqu'il l'est sur des créations en relief. Sculpteur, il ne l'est peut-être pas non plus, par la manière qui lui est propre de retoucher très peu les objets qu'il insère dans ses compositions. Il faudrait donc, logiquement, trouver pour cet inclassable, des termes spécifiques, du genre "reliefiste" et "englobeur" ! Ce serait là un bon moyen de paraphraser l'humour qui le caractérise dans toute sa vie !

          Peintre, donc, quoi qu'il en soit, Jean Moiziard fait, à ses personnages, jouer les passe-murailles ! Apparitions et disparitions fragmentaires se côtoient dans les fonds toujours sombres ou flous, peints dans des bruns maculés de taches plus sombres encore, avec juste une petite pointe de rouge qui génère des contrastes et rend l'ensemble très lumineux ; comme dans ces films noirs où le héros  -qui serait ici le spectateur-  est amené à élucider quelque  mystère : par exemple la raison pour laquelle nombre de ses oeuvres proposent un personnage  (féminin) de face, les yeux vers l'horizon, l'autre (masculin) de profil, la mangeant des yeux ! L'importance accordée par l'artiste aux jeux de lumières crée sur ces tableaux en relief, émotion et magie, d'autant que chaque scène s'encadre dans des fenêtres aux chambranles finement ouvragés. Le sculpteur prend peut-être alors le pas sur le peintre pour créer un décor dentelé, sans relation apparente avec le paysage. Puis, il ajoute des éléments symboliques, comme une grosse poutre s'appuyant sur des murs affaissés, au milieu de la nature luxuriante... Ou il multiplie les contrastes, passant de gros amas de peinture à des passages d'une finesse arachnéenne ; etc.

          Créateur, enfin, de compositions en reliefs, voilà Jean Moiziard parti dans  des  scènes très intimistes, composées à partir d'objets de récupération arrachés à des décharges bien sûr, mais surtout découverts dans des brocantes et des vide-greniers, ces pourvoyeurs à l'infini de vieilles choses usées par des siècles d'abandons et de retrouvailles ; objets usuels ou artisanaux, cassés, patinés, ou peut-être miraculeusement indemnes, simples ou sophistiqués. C'est la trace du temps qui importe à l'artiste ; lui permet d'établir à son tour avec ses trouvailles, une profonde complicité. Mais cette fois, son goût des associations par affinités ou par oppositions assure leur pérennité, car le respect qu'il leur voue l'amène à les protéger. Pour ce faire, sa démarche très concertée lui a fait choisir des globes de mariées, ces symboles par excellence de pureté, d'engagement sacré. Grâce à eux, Jean Moiziard a trouvé le moyen de distancier ses créations, à la fois les montrer et les rendre intouchables ! A travers le verre, le spectateur voit des collages, des sortes d'installations plutôt, très narratifs, presque anecdotiques : jardins en friche, personnages devant leur château en ruines, ambiances de contes de fées, etc. Mais  si l'artiste y raconte SON histoire, il a le souci de n'être jamais directif, de sorte que le spectateur puisse plaquer sur son oeuvre son propre rêve, sa propre fiction, ses propres fantasmes. Néanmoins, même porté par toute la symbolique du globe si proche de l'œuf, du reliquaire ou de l'ex-voto, parfois même des  grigris de la sorcellerie..., il a conscience du côté limitatif de cet enfermement : limitatif par la taille, par la forme. Il  lui faut donc pallier cette contrainte par des mouvements ascensionnels en ronde bosse, et par la densité du sujet. Ainsi, le bas de l'oeuvre est-il toujours très sophistiqué, fait de fleurs multiples, de minuscules bibelots serrés, de ramilles drues, de têtes animales enceintes de couronnes délicatement tressées, plumulées ; tandis que la montée vers le sommet devient de plus en plus sobre. Finalement, ces sortes d'autels, imprégnés de religiosité païenne, ramènent la déambulation spirituelle du visiteur vers la présence de dieux lares très personnalisés.

          En même temps, ce détournement de connotations culturelles corroborées par les siècles ; cette faculté innée de regrouper en une parfaite unité des brimborions hétéroclites, ne sont-ils pas, pour Jean Moiziard, un moyen un peu provocateur de leur créer un avenir tout en affichant sa volonté de ne pas rompre avec ses racines ; d'établir pour lui-même comme il le fait pour ses créations, une assise solide entre le passé et le futur ?

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 66 DE JANVIER 2000 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA