Coll. Musée de la Création franche
Coll. Musée de la Création franche

Devenue adulte, Eli Heil a vécu des angoisses contre lesquelles la médicine s’est avérée impuissante ; des sortes de transes au cours desquelles sa tête semblait incapable de contenir plus longtemps les images monstrueuses, les poèmes, les lambeaux de textes qui s’y bousculaient … Jusqu’au jour où, telle une femme enceinte parvenant à son terme après avoir interminablement senti croître son ventre, elle a métaphoriquement accouché d’un œuf ! Et l’œuf a enfermé les créatures fantasmagoriques qui hantaient les nuits et les veilles de celle qui allait devenir une artiste.

Car dès lors, sa vie a été perpétuelle explosion picturale de petits êtres animaliers ou humanoïdes, vivant serrés en une profonde osmose, imbriqués les uns dans les rondeurs des autres… Car tout se passe comme si l’artiste avait perdu la notion des lignes droites et des angles affilés ! De ce fait, rien de violent dans ce monde où la bouche d’un gentil centaure susurre quelque confidence à l’oreille d’un mouton ; où une sorte de chat blanc passe sa langue râpeuse sur la joue d’un individu aux grands yeux étonnés ; où un poisson gambade côte à côte avec ce qui est apparemment une chèvre ; où la tête d’un personnage fait le mur d’une maison… Mais, paradoxe, cette promiscuité qui pourrait être ludique prend, par sa densité, son aspect obsessionnel, une connotation infiniment sérieuse et mystique.

Tout cet univers arraché à ses entrailles par Eli Heil est peint dans des couleurs plutôt sombres mais vibrantes, de rouges lie-de-vin et de bleus profonds, entre lesquels des mélanges de jaunes conjugués à différents degrés de verts donnent à chaque scène une profondeur et une luminosité remarquables ; génèrent à la fois une impression de relief et de mouvement ! Comme si ce fourmillement multiforme était entraîné en un tourbillon de chevaux de bois.

Coll. Cérès Franco
Coll. Cérès Franco

          Malgré cette mobilité apparente, ce microcosme ressemble, en effet, à un œuf douillet où Eli Heil se sent merveilleusement à l’aise. Inversement, elle a créé pour lui une sorte de nid, en achetant malgré sa pauvreté, un terrain vague pour y ériger un musée, le Musée du « Monde-Œuf ». Dans et devant le bâtiment, se dressent autour des peintures à l’infini, des sculptures de béton coloré représentant, comme autant d’hommages à des puissances tutélaires, Adam et Eve, le grand serpent Dan,** l’ange-oiseau qui, dans ses transes, survola sa maison à diverses reprises etc. Ainsi a grandi en ce lieu lui-même clos comme l’œuf qu’il honore, un étrange bestiaire, une flore non moins surprenante de plantes à l’infini, un univers homomorphe de petits allochtones issus de l’imaginaire et du subconscient de l’artiste.

          Désormais boulimique de peinture et de sculpture, Eli Heil, cette autodidacte qui s’est mise à créer pour essayer de trouver un mieux-être, et qui a continué pour le pur plaisir de plonger ses mains dans la glaise ou de les couvrir de peinture, poursuit, chantant riant et pleurant à la fois, contre vents et marées (et les vents contraires ont été violents, lorsqu’une partie de son musée a été livrée aux bulldozers pour faire passer une autoroute !) son œuvre à la fois tellement naïve et profondément mystique, tellement surprenante par la richesse de son imaginaire, et tellement attachante par sa pureté et son authenticité.

Jeanine RIVAIS

 

** Les références biographiques et religieuses ont été tirées des textes de Cérès Franco qui, chargée au début des années 60, d’organiser la participation brésilienne à la Triennale de Bratislava a découvert Eli Heil ; et, par la suite, a  exposé à plusieurs reprises ses œuvres dans sa galerie l’Oeil-de-Bœuf.

 

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LES OEUVRES EN PERIL DE ELI HEIL

    La France n'a pas, hélas, le monopole des maisons ou des jardins de créateurs saccagés par des vandales ; détruits ou vendus par des héritiers dérangés par une notoriété (parfois), une excentricité (toujours) auxquelles ils ont  refusé de s'associer ; dispersés aux quatre vents pour des besoins locaux trop souvent spécieux!

    Le Brésil est actuellement en train de s'illustrer honteusement en la matière : Eli Heil est peintre et sculpteur. Elle fut découverte à Rio où elle exposait, par Corneille et Cérès Franco qui a plusieurs fois présenté ses oeuvres dans sa galerie L'Oeil-de-Boeuf à Paris ; et possède une magnifique série de toiles naïves, ludiques, profondément attachantes par leur pureté et leur authenticité.

    Très pauvre, Eli Heil avait néanmoins réussi à acheter un terrain vague à la sortie de Santa Catarina, dans le sud du pays. Et à construire un bâtiment à usage de musée pour ses oeuvres qu'elle n'accepte de vendre qu'avec la plus extrême parcimonie, et toujours avec le plus profond déchirement. (Cérès Franco qui avait fait le long voyage exprès pour la rencontrer parle avec beaucoup de tendresse de cette sauvageonne qu'elle mit très longtemps à apprivoiser et à persuader de son admiration pour ses créations).

     Eli Heil, donc, avait "édifié" aux portes de son musée, une série de sculptures monumentales. Mais voilà, ces sculptures se trouvaient "sur" le tracé d'une autoroute en construction. Malgré l'opposition de l'artiste et de ses amis, il a suffi de quelques coups de bull-dozer pour en venir à bout! Le reste du musée est également en grand danger.J.R.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 72 TOME 1 DE FEVRIER 2003 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

 

Ce texte écrit en 2002 et toutes les manifestations de protestation n'ont servi à rien ! Aujourd'hui, l'autoroute passe sans problème sur ce qui aurait dû devenir un musée patrimonial.