Pascal Saumade a des idées. D’excellentes idées, même, parfois ! La dernière l’a conduit à travers des villages mexicains, à la recherche d’ex-voto. 

          Chacun connaît, aux murs de toutes les églises du monde, ces objets cultuels exécutés  ou commandés par des catholiques(¹) en remerciement d’une vie sauve, d’un souhait réalisé, d’un être cher retrouvé, etc. La plupart, parfois d’ailleurs de simples inscriptions, sont très modestes, appartenant aux Arts et Traditions populaires. Ils se présentent sous forme de peintures, sculptures (terre, bois... concrétions calcaires comme certains ex-voto offerts à la Vierge Noire de Rocamadour...), broderie, dentelle... Plus personnalisés sont les ex-voto des chapelles marines, car bien souvent les pêcheurs rescapés de quelque naufrage, ont sculpté des maquettes de leurs bateaux, ou du saint qu’ils ont invoqué au moment de leur détresse ! Certains enfin sont grandioses, comme celui de Philippe de Champaigne qui est au Louvre et fut peint pour la guérison de sa fille paralysée ; ou l’église Santa Maria Della Salute élevée à l’entrée du Grand Canal à Venise, après la peste de 1630, etc.(²)

          Les ex-voto  rapportés par Pascal Saumade sont des peintures, parfois anciennes puisque certaines remontent au début du XIXe siècle. Certaines ont été commandées à des peintres du village. Plusieurs ont d’ailleurs été exécutées par le même artiste, ce qui crée une continuité  inattendue dans cette exposition. L’autre continuité tient à la foi, prégnante en chacune de ces oeuvres de petits formats, pourtant désormais extraites de leur contexte.

          Bien que conçues comme des peintures, ces oeuvres possèdent des caractères tout à fait spécifiques : ainsi, reviennent de façon récurrente la Vierge et Jésus, dans une auréole lumineuse ; et plus souvent encore “Santo Nino Atocha” qui semble être un saint local. Et ici, nul  émerveillement possiblement venu de l’extérieur : nul pastoralisme, nul merveilleux, nulles fioritures révélant une tentative de se prendre pour un artiste : la relation concise, précise d’un fait (un crâne défoncé par la chaîne de vélo d’un voyou ivre, un match de catch gagné, un naufragé qui a regagné la rive, un boucher qui a conservé sa main tranchée, un accidenté de la route à peine touché, une fille de joie rentrée dans le droit chemin, un fiancé accordé par des parents, etc.) ; un lieu restreint, presque un huis-clos (l’angle d’un ring, le sable d’une arène, un carrefour, quelques vagues d’une mer démontée, la porte d’un lupanar...)  Peu de variations chromatiques ; une austérité de couleurs qui sied à la gravité de la situation. Un univers statique, avec ses deux centres d’intérêt : la narration “in situ” du drame vécu, et le Protecteur remercié, la plupart du temps en assomption. Quasiment chaque groupe arbore une unique expression corporelle : des gens agenouillés, et les mains jointes. Une seule expression faciale : celle d’une sorte d’extase intérieure, des yeux levés vers le récipiendaire de cette adoration muette. Pourtant, parfois, le drame se joue sur la toile, comme dans la chambre de Louise Valdez qui, très malade, voit soudain au pied de son lit la mort en personne, agitant sa terrible faux ! D’autres fois, y règne l’humour, comme dans le cas de ce prisonnier prostré dans sa cellule dont l’épar supposé le  maintenir enfermé... se trouve de son côté ... Parfois, enfin, –rarement-- plusieurs interprétations sont possibles ; comme ce personnage moustachu qui fuit dans une grande envolée de poules, poursuivi par une femme armée d’un fusil : est-ce un chapardeur  ? un agresseur ? Heureusement, la légende est là,  attestant que la mère “remercie la Vierge de Zapopan, parce que le 13 juillet 1946, (elle) a attrapé le type qui a essayé de séduire (sa) fille Marisella. (Elle) lui a tiré sur le bras, et il n’a pas osé (la) dénoncer) ! Car ici, contrairement aux oeuvres d’Art brut où les écrits n’étaient pas forcément signifiants, peinture et écriture sont complémentaires.

          Cette création populaire à l’usage de SON Dieu, de SA Vierge ou de SON Saint, est en fait la réplique plus modeste et éphémère des scènes religieuses à la symbolique très forte, sculptées à l’intention du peuple  illettré au tympan des églises. Peut-être sa sobriété tient-elle à la connotation religieuse de l’oeuvre ? Peut-être aussi, dans le cas des ex-voto mexicains, (mais ce serait sans doute vrai dans les villages de tous pays), ce primitivisme est-il dû à l’inexpérience de ceux qui les réalisèrent –les réalisent-- eux-mêmes, créateurs circonstanciels d’une seule oeuvre relative à un seul malheur métamorphosé en miracle personnel ; ou à l’isolement de ceux qui, peintres locaux, n’avaient pour nourrir  leur imaginaire paysan qu’un horizon des plus limités ; mais surtout, qui avaient pour mission expresse de bien “exprimer” en un scénario bref et hyper-figuratif  “l’histoire” à la place du commanditaire, penser “comme” lui et traduire sans hiatus son “merci”, en une exécution lourde de sens  ! C’est pourquoi, conçus comme de simples témoignages, ces objets SONT, par leur unicité, la qualité de leur exécution, l’originalité de leur conception, de véritables objets d’art ! 

          Ceux qui ont emporté l’adhésion de Pascal Saumade, –même les quelques-uns qui, brodés de couleurs violentes, se situent à part de l’ensemble-- possèdent, en tout cas, les qualités requises pour figurer sur des cimaises ; et il a réalisé là une bien belle et très originale exposition.

Jeanine Rivais

 

 

(¹)En fait toutes les religions ont leur façon particulière, souvent très proche des autres, de remercier leurs dieux : ainsi l’hindouisme se sert-il des banians, ces arbres susceptibles de devenir énormes, et qui doublent souvent à l’entrée des villages indiens, l’ombre tutélaire des totems. Au moyen de rubans colorés, les fidèles reconnaissants accrochent aux branches de ces arbres appelés “Arbres sacrés”, des cadeaux allant parfois d’une lettre, à un jouet lorsqu’il s’agit d’un enfant, voire un bijou...

 

(²) Ne pas manquer d’aller visiter la collection de sculptures ex-voto essentiellement brésiliens au Musée Cérès Franco d’Art contemporain de Lagrasse (Aude).

Maintenant à la Coopérative de MONTOLIEU(11170)

 

CE TEXTE A ETE EXRIT EN 2000 LORS DE L'EXPOSITION DES EX-VOTO A LA GALERIE MICHEL GILLET PARIS. ET PUBLIE DANS LE N° 69 DE JANVIER 2001 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.