LES PORTRAITS DE FAMILLE DE NATTA KONICHEVA

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          A la belle époque du Réalisme socialiste, Natta Konicheva, née à Moscou, née à Moscou en 1935, commence sa carrière d'artiste sans aucune chance de faire prévaloir ses anonymes petits personnages sur les brillants héros du stakhanovisme ! Elle doit donc se contenter de pratiquer son art dans la plus stricte intimité, jusqu'au jour où les frontières ayant explosé, elle peut sortir son chevalet pour aller faire des portraits dans les familles moscovites.

          Portraits-prétextes qui lui permettent d'installer au centre de la toile ses familiers, ressemblants au demeurant, nus ou bizarrement drapés dans des capes, armés de vétustes épées, trônant dans des fauteuils étranges... tout objet qu'elle aura tiré de son ou de leur environnement.

 

          A partir de cette "réalité", l'imaginaire de l'artiste prend la relève, déroule un fil d'Ariane qui part des proches du su¬jet central autour duquel s'organisent, tel un patrimoine mémorial, ses propres souvenirs. De sorte qu'à la fin -mais ce mot est impropre, car dans l'esprit du peintre aucune de ses œuvres ne parvient jamais à son terme- le spectateur voit se côtoyer la tour Eiffel et la Dame à la Licorne ; la Pompadour et Eve, un serpent tatoué sur le sein ; une tête dans un filet de basket et Cléopâtre, etc. Et ce qui, pour l'artiste, est un flux de souvenirs est pour le visiteur, un joyeux pot-pourri, un anarchique marché comparable à l'Arbat aux heures d'affluence des touristes !

           Faut-il préciser que ces références culturelles éclectiques sont présentées dans un style très personnel ? Elles doivent cohabiter dans une parfaite harmonie, marier les couleurs des ajouts à celles déjà en place...

 

          Peu à peu, le réalisme s'estompe, devient un univers onirique de fictions, mythes et légendes ; entraîne le visiteur dans un voyage merveilleux, un foisonnement ludique D'où il ne revient qu'à regret. Lui apparaît alors l'autre constante de l'œuvre de Natta Konicheva : le perpétuel jeu de cache-cache de la vie et de la mort, en un dérisoire carnaval suggéré par la présence de masques sur certains visages, de squelettes ou faciès fantasmagoriques sur d'autres : tout cela vivant, grouillant au gré de frénésies picturales du peintre !

 

          Par voie de conséquence, le fond esquissé succinctement, escalier, fenêtre, salon, est bientôt réduit comme une peau de chagrin, rogné par ces adjonctions, neutralisé par cette vie ! Jamais de couleurs nettes dans ce monde étrange, mais des mélanges brossés à longs traits, des langues de matières accumulées ici, retirées là, donnant aux œuvres un aspect échevelé, essoufflé, un sentiment d'urgence, comme si l'artiste se hâtait, craignait de manquer de temps pour réaliser "le" tableau qui enfin, la mettra dans son esprit, sur un pied d'égalité avec Chagall et Hogarth dont elle revendique farouchement la filiation.

Jeanine RIVAIS

 

          Des œuvres de Natta Konicheva sont exposées en perma¬nence à l'atelier franco-russe de Berre-les-Alpes (06) -où elles ont été filmées par le célèbre cinéaste Eldar Riazanov- ; atelier fondé par Alain et René Guerra qui mettent à la dis¬position d'artistes soviétiques invités un appartement et une galerie d'art. 

 

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1994 ET PUBLIE :

DANS LE N° 41 DE FEVRIER-MARS DE LA REVUE IDEART.

DANS LE N° 54 DE FEVRIER 1995 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

DANS LE N° 14 D'AVRIL/JUIN DE FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL.