ENFANCE  ET SORTILEGES ou ELIANE LARUS, peintre

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Au fond, lorsque Eliane Larus, qui n’a jamais laissé l’habitude envahir sa création, décide de ne plus réaliser de sculptures, elle ne fait que jouer inconsciemment avec elle-même et avec ses mains passagèrement lasses : car peintures et sculptures participent d’un même esprit à la fois ludique et extrêmement grave, le petit monde allogène d’une artiste à l’imagination floribonde, dans un style résolument moderne sous ses airs surannés dus aux teintes brun fané qu’affectionne cette coloriste de talent.

Un monde pictural couvre donc les cimaises de son atelier, en ce début de siècle où elle fut invitée à travailler sur le thème de L’Enfant et les sortilèges. Et, si hasard il y a, il n’aurait pu être plus heureux, car, depuis quelques trois décennies, l’un et l’autre mots définissent à merveille les deux pôles de son œuvre.

Parler d’enfance, dans la peinture d’Eliane Larus peut sembler un truisme, car tous ses personnages « sont » des enfants, sans que l’artiste puisse expliquer de quelle profondeur inconsciente surgit cette obsession. Mais tout se passe comme si, en les peignant à l’âge où ils découvrent le monde, elle leur conférait droit à l’émerveillement, faculté de rêve, pouvoir de générer les plus surprenantes fantasmagories… Comme si, elle-même, ayant perdu l’univers heureux de sa propre enfance, cherchait à retrouver la féerie de son Eldorado d’antan, et en restituait avec nostalgie les impressions rémanentes.

Par contre, sortilèges il y a, assurément, adressés à l’artiste : le dieu de la sagesse lui a conféré une philosophie qui l’amène à créer au gré de son désir ou de sa fantaisie, sans souci de modes ni d’arrivisme. Le dieu des incantations rythme avec bonheur le même thème récurrent qui, grâce à son imaginaire débridé, donne au spectateur une grande impression de variété ! le dieu de la mort pourrait se prévaloir de la gravité des « fonds noirs d’hiver » sur lesquels, quand il fait gris et froid, l’artiste réalise ses mises en scène, mais il a définitivement cédé la place à son antonyme ; lequel, tout au long de l’année,  prodigue à Eliane Larus vie et débordement de vitalité… Et tous les magiciens de la terre se sont à l’évidence penchés sur son pinceau, pour donner à son œuvre verve, ironie légère, humour, fraîcheur et onirisme pour cet aréopage d’objets et d’animaux qui font aux bonshommes un environnement insolite (parfois un peu anarchique, quand même, mais dans un chaos débonnaire) ; sur fond de montagnes, de soleils rouges et de mers ! 

Et ils sont là, leur silhouette raboteuse, comme taillés à coups de serpe (vous avez dit sculpture ?) ; toujours de face, regardant en off, de leurs petits yeux, un paysage peut-être, ou le visiteur …  ;  la tête sans cou directement rattachée au corps-robe ; campés raidement sur leurs jambes grêles, privés de leurs bras, parfois : tout de guingois, en somme… comme si leur génitrice détestait le rapport naturaliste à l’apparence humaine ; et n’hésitait pas, avec audace et allégresse, à casser la forme, pour le simple plaisir de créer le mouvement.

Créer, en même temps, un contraste entre ces petits êtres qui sont dessinés sur des dominantes verticales parmi des arbres où « se répondent » en « écho », ici  un mouton, là un ours ou un oiseau… Et au fond, la masse des montagnes, limitant l’horizon sans le fermer, se chevauchant, mamelues et lourdes de certitudes ; le tout, comme dans les paysages naïfs, donnant une impression de sérénité, de plénitude ! 

Ainsi va Eliane Larus, peignant sans trêve ; usant à n’en pouvoir mais d’une absolue liberté formelle ; ne sachant pas « qui elle est, mais essayant d’être quelque chose » ; tirant de son œuvre spontanée, authentique, sa propre harmonie. Une artiste heureuse, en somme ; en accord absolu avec elle-même : n’y a-t-il pas, dans cette démarche, rarissime ambivalence ?                                                                                                                                                              Jeanine RIVAIS.


CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2001 A L'OCCASION DE L'EXPOSITION ARTSENAT, L'ENFANT ET LES SORTILEGES".