PETITS CONTES A L’EMPORTE-PIECE  DE CHENU, peintre.

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 Chaleureux  et volubile, sa bouille joviale et son tour de taille sans retenue suggèrent que Chenu est amateur de bonne chère, d’histoires graveleuses, de rires tonitruants. Il l’a prouvé dans une série intitulée « La Cuisine de Chenu », dans laquelle il osait des assortiments laissant dubitatif plus d’un visiteur, comme ses 'Lentilles aux oranges et soupe aux moules" ou sa "Tête de veau façon Ch’nu"… Des commentaires doublaient les dessins, tour à tour salaces, bon enfant, évidents, succulents, truculents… le gastronome faisant alors fi, dans le travail du peintre, des plus élémentaires canons picturaux. Car, Chenu, autodidacte, et jouant de ses apprentissages solitaires, incluait sur la même toile et à taille égale, l’olivier et la bouteille d’huile, le Chinois et le sampan, le cochon et le couteau… Une sauce mijotée… à toutes les sauces, en somme, servie dans de larges plats de terre vernissée conçus par l’artiste, incrustés à la manière de ceux de Bernard Palissy, de têtes animales, de fruits et de légumes dont les formes généreuses dépassaient elles aussi, à l’instar de celles de leur créateur, largement les bords. 

Chenu possède, en effet, à forte dose, une épice bien à lui : l’humour, omniprésent sur sa toile, quel que soit le thème abordé, le peintre travaillant, depuis toujours en larges séries au cours desquelles sa faconde teintée de tendresse emmène le visiteur se balancer sur la lune ; le fait entrer dans la ronde parmi les bambins de naguère ; partir à la poursuite d’un cycliste escaladant allègrement une dune ; se rouler dans l’herbe près d’un petit mouton ; s’envoler sur les ailes d’un ange, d’un oiseau ou d’un cerf-volant, se reposer sur les ocelles d’un papillon … constater que chaque fragment de toile renferme « son » élément spécifique et contient de ce fait une nouvelle invite.

Tout cela animé d’une grande volonté démonstrative proposée sur de petites plages où l’artiste s’autorise toutes les libertés. Comme dans les créations d’enfants auxquelles ses œuvres s’apparentent souvent, il peint sans se soucier de proportions, d’équilibres et surtout de perspective… Et pourtant, tout ce petit monde se retrouve sur ses pieds, à la fois empreint d’incertitudes poétiques, et éclatant comme dans les contes de fées. Très linéarisés au milieu de leur espace, personnages, animaux ou végétaux cohabitent en un joyeux méli-mélo où l’élément le plus important est FORCEMENT le plus grand, évident, mais sans aucun souci de réalisme ! Subséquemment, aucun hiatus entre ces petits carrés qui, tels des dominos colorés, forment une grande surface «découpable» au gré de la fantaisie de l’artiste. Chacun y «raconte» à sa manière une saynète lisible au premier regard. Et l’unité de l’ensemble tient à la patine aux teintes douces, extrêmement personnelle du pinceau passé à larges traces. 

Un gentil rêve, en somme, vif, plein de fraîcheur, aux multiples facettes ludiques et provocatrices. 

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999 ET PUBLIE DANS LE BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°67 de JANVIER 2000, IVe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY