THEATRES DE LA VIE

LES PEINTURES ET SCULPTURES D’ISABELLE BONAFOUX

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Comme la nature, Isabelle Bonafoux a horreur du vide ! De sorte que chacune de ses peintures met en scène un monde fait de plages hermétiques, “emplies” et “encloses” tantôt en noir et blanc à l’encre de Chine ; tantôt en de belles couleurs douces, à base de bleus sur lesquels ressortent des roses et des orangés. Dans chaque alvéole délimitée sur la toile, sur chaque feuille de papier, “résident” des êtres, humanoïdes sans réalisme, souvent d’ailleurs réduits à des bustes ; serrés, encastrés tels des poupées gigognes. S’ils sont entiers, leur vêtement est délicatement décoré comme pour une fête : costumer ses personnages et concevoir pour eux des masques plutôt que des visages, sont deux des impératifs picturaux de l’artiste. Si ces individus sont masculins, ils tombent, s’accrochent dans des déséquilibres et des gestes maladroits, portent fraise brodée ou larges capuchons pointus, comme jadis les fous des rois ! Si ce sont des femmes, elles sont nues la plupart du temps, comme libérées, fières de leur beauté. Elles dansent, bras levés et longues jambes en extension.

Parce qu’installé sur des obliques, tout ce petit monde donne une grande impression de mouvement, paradoxal dans des espaces restreints, en ces lieux imprimés de signes récurrents : Ainsi, Isabelle Bonafoux introduit-elle dans l’environnement de ses créatures, des cartes à jouer et surtout des dés, ces symboles de débauche et de convoitise, généralement minuscules certes, mais nombreux sur chaque oeuvre. Ainsi encore, “autorise”-t-elle certains “privilégiés” à dépasser leurs limites, chevaucher les frontières, vivre en deux lieux à la fois ; apporter une respiration à cet univers strictement fermé : mais, subséquemment, les voilà de nouveau “coupables” de contrevenir à l’ordonnancement préétabli ! Comme pour se faire pardonner, l’artiste entoure ces “hors-la-loi” de mille breloques minuscules (petits plots électriques, fleurs, croix et boules... toutes sortes d’infimes caractères pictographiques qui modifient les connotations linéaires, génèrent des passages scripturaux si courants dans les créations singulières. Et, les ayant de ce fait mentalement récupérés, seul désormais leur regard toujours de profil –fuyant celui d’autrui pour se fixer sur des horizons situés en off ?– leur conférerait une liberté incontrôlée ; n’était qu’ils sont vacants !

Incapable, donc, de rencontrer ces regards, conquis pourtant et perplexe à la fois, le visiteur essaie de s’en détourner, de décrypter sans eux les arcanes de ce monde coloré, dessiné avec des finesses exquises, très structuré ; mélange indissociable d’incommunicabilité, de permissions arrachées et de transgressions ; cerné en outre par des cadres couverts de graffiti, à l’intérieur desquels, telle une agoraphobe, Isabelle Bonafoux trouve la sérénité et son équilibre.

Le même sentiment de plénitude se retrouve dans ses sculptures, porteuses de la même problématique, puisqu’elle en veut résolument les protagonistes “opprimés” : Pourtant, gaies, colorées ; en des tons identiques à ceux des peintures, leur forme totémique donne de prime abord au spectateur, l’impression de personnages autonomes tendus vers le ciel. Mais, très vite, les corps se rapprochent en une sorte de spire ascendante ; se soudent au moyen des mêmes symboles déjà répertoriés pour les peintures. Finalement, tout espoir d’émancipation disparu, ils se retrouvent tête soudée en un unique bloc portant ses regards aux quatre horizons, ou aggloméré en une énorme tête d’oiseau, aptère mais au bec redoutable...

Et c’est ainsi que, peintre ou sculpteur, Isabelle Bonafoux, passant du jeu au drame, pousse en un patchwork de couleurs lumineuses et tendres, les pions de ses petits théâtres de la vie ; de ses histoires intemporelles ; de ses “écrits” picturaux ou sculpturaux qui sont, chaque fois, de grands moments d’émotion jugulée.

Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 67 DE JANVIER 2000 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA, A LA SUITE DU 4E FESTIVAL HORS-LES-NORMES DE PRAZ-SUR-ARLY.