Il semblait que depuis les tristes événements de la Place Tienanmen, l'image très connotée d'un groupe de jeunes gens tenant d'une main le petit "Livre rouge", de l'autre brandissant le poing, était un peu disparue de notre quotidien ? 

Or, elle réapparaît en grand format à la galerie Bellefroid qui présente une dizaine d'œuvres du peintre chinois Wang Guangyi.

Les deux tiers de ces œuvres (les plus grandes) sont construits sur un schéma identique : au premier plan, très propre et nette sur fond noir, une marque célèbre de "firme occidentale" (Coca-Cola, Chanel, Renault, etc.). Au-dessus, trois "camarades" brandissant un pinceau et un porte-plume. Ils sont en jaune, bien sûr et se détachent sur un rouge violent : le rouge du drapeau communiste. Sur la partie "chinoise", sont imprimés en désordre des centaines de nombres. Il ne faut attacher à ces nombres aucune signification propre : leur accumulation montre que le Communisme (rouge et jaune) est "maculé par le capitalisme". La plume et le pinceau ? Ils servent à raturer ou effacer les marques du "capitalisme". 

Trois toiles un peu plus petites ont une composition légèrement différente : Au centre, apparaissent deux bustes de jeunes gens placés à l'intérieur d'un V sur lequel sont inscrits d'autres "signes occidentaux" : Frites-arbres-Paris-etc. Ce V se voit et se lit de si qu'il ne peut être que le V de la victoire : le capitalisme, donc, serait en Chine triomphant ? Paix aux cendres des morts de Tienanmen ! Quand ils rêvaient de liberté, ces jeunes h=gens pensaient-ils à Coca-Cola ou à Yves Saint-Laurent ? 

 

L'artiste s'était, dans une précédente série, "attaqué" à la politique nataliste de Mao. Cette "Grande Critique", datée de 1990-91, se voulait dénonciatrice du régime communiste chinois et de l'hypocrisie d'un système qui, "fermant" le pays, y laisse entrer la civilisation capitaliste. Ces œuvres dénonçaient les méfaits de cette permissivité-agression. 

Wang Guangyi semble assez connu en Chine, du moins y a-t-il obtenu des prix pour son œuvre. De Pékin via Rome, me voilà arrivé à Paris. A une revue qui l'interrogeait sans doute sur le fait qu'il ne soit pas, pour fait de contestation, en train de faire pousser du riz sur le plateau du Yunnan, il a expliqué avec beaucoup de cynisme qu'"ils" le laissent tranquille pour trois raisons :  Ils trompent le public en l'amenant à penser que leur politique est libérale ; il est très célèbre ; la vente de ses œuvres apporte à la Chine des devises étrangères. Militantisme pas mort ! 

Ce qui gêne dans cet ensemble d'œuvres, c'est que les symboles étant réunis, l'artiste doive les expliquer : Vatel donnait-il la liste des ingrédients des mets qui réjouissaient le palais des rois ? Mais il semble bien que soit absente des œuvres de Wang Guangyi la dimension qui rendait délectables les compositions de Vatel : l'Art.

Ce n'est, bien sûr, pas l'avis du peintre, et pour ne pas être en reste avec l'"occident", il intitule son travail "Pop*Art à Pékin". Andy Warhol peut encore dormir en paix dans sa tombe son émule chinois ne risque pas, de longtemps, de le détrôner ! 

 

Quant à la galerie Bellefroid, ses motivations sont sans doute l'exotisme ? Récemment le film "Epouses et concubines" présentait au cinéma une Chine séculaire violente et injuste, mais fascinante ; le petit musée Kwok-On, implanté à Paris, propose aux visiteurs des collections magnifiques de jeux d'ombres, costumes, jouets, etc. ; Le Cirque de Pékin réveille périodiquement l'enthousiasme occidental. Pourquoi, alors, cette exposition a-t-elle laissé de glace les visiteurs ? Sans doute parce que, voulant jouer sur deux tableaux, -l'anticommunisme et l'anticapitalisme- Wang Guangyi présente une œuvre froide, dépourvue d'humanité : du réchauffé ! 

 

Alors, s'ils sont en mal de dépaysement, les spectateurs retrouveront le monde de la Corrida dans la très belle exposition de Pipo Ruiz à la galerie Bailly. L'imaginaire de Louis Pons les emmènera vers un monde fabuleux à la galerie Claude Bernard. Les toiles de Pierre Carresse les replaceront dans des "Accordées de village" dont la grivèlerie matoise éveillera leur sens de l'humour au musée de Castres. Et les créations populaires de Chichorro, leur puissance séditieuse, leur exceptionnelle inventivité formelle ne manqueront pas de susciter leur étonnement à la galerie des quatre Coins à Roanne. Etc.

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993.