Il arrive qu’à la fin d’un rêve, une scène demeure sous les paupières du dormeur, tellement vivide que sa rémanence persiste en lui longtemps après son réveil. Ce sont ces moments privilégiés où remontent en bouffées de nostalgie les souvenirs d’enfance, que peint Guitta Sergueïeff.

          Souvenirs campagnards fixés à la fraction de seconde où, dans le rêve, la scène était à son apogée : celle où tous les chats du village bondissent vers la fillette qui leur apporte la nourriture ; où la fermière attise sous le chaudron le feu qui cuira la graisse du cochon; où le petit chapardeur à qui ses “complices” “font la courte échelle”, pose la main sur la pomme, etc. Parfois, le peintre modifie la facture du tableau: Plein cadre, une jeune fille passe alors dans une allée; un photographe immortalise au portail de l’église, une noce villageoise... Mais la différence n’est qu’illusion, car autour de ces gros plans, se pressent arbres, animaux, badauds ou enfants jouant à cache-cache... De sorte que chaque oeuvre est finalement conçue “en rond”, orbe chaleureuse et douillette, petit nid bien clos, comme si l’artiste avait besoin d’intimité, de sécurité pour exprimer sereinement ses “douces souvenances” colorées par l’émotion (¹).

          Emotion pour la créatrice, de voir surgir ces bribes d’images enfouies comme des trésors dans son inconscient; de les restituer en donnant picturalement abondance de détails narratifs un peu surannés qui garantissent leur authenticité. Car les tournesols sont aussi floribonds que naguère ; comme autrefois, la mère lave son enfant dans un baquet ; le petit bateau flotte au fil de l’eau... Emotion pour le visiteur, de recevoir toute cette tendresse doucement ludique, peinte en teintes feutrées, comme vieillies par le temps, ocres et gris-vert qui accentuent la connotation romantique des toiles.

    Des oeuvres d’atmosphère, incontestablement rattachées au monde des Naïfs; développées au fil des années en un très personnel langage figuratif, avec une acuité picturale, un sens aigu du détail quotidien primesautier qui font de Guitta Sergueïeff un Jérôme Bosch gentil.

          Monde naïf encore, dans ses poèmes, commencés dès l'enfance, où elle était le "scribe" de sa classe ; continués dans l'adolescence où la jeune fille romantique assumait "le courrier d'Eros" ; poursuivis enfin à l'âge des grands bonheurs et des regrets, des révoltes jugulées ; celui où "écrire est une façon silencieuse de rire et de pleurer" (²).

          Moments d'émotion pure qui noue ne boule dans la gorge du lecteur : Car, lequel n'a, un jour, dans le fatras des coffres trop longtemps clos, des boîtes désuettes, des poupées plus aimées, des vêtements démodés, retrouvé "son" bouton ! Moments d'angoisse délicieuse au souvenir des caprices réprimés et des rêves contrariés, des contes mille fois relus, des comptines rabâchées, venues litanies d'amour, main dans la main du compagnon ; minutes privilégiées où les fantasmes emportent l'esprit du poète vers la somptuosité des soleils levants, mais aussi vers 

"l'éphémère, le dérisoire, l'absurde..." (²)

 

Une œuvre poétique simple, sans recherche d'effets, bouleversante de sincérité, de fraîcheur, rejoignant dans le rêve les souvenirs picturaux de Guitta Sergueïeff.

Jeanine RIVAIS

 

(¹) "Combien j'ai douce souvenance

       Du joli lieu de mon enfance..." (Châteaubriand, Le dernier des Abencérages). 

(²) Guitta Sergueïeff

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996. IL A ETE PUBLIE DANS LE N° 15 DE 1996 DE LA REVUE LE CRI D'OS ET DANS LE N° 57 D'AVRIL 1996 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.