Œuvre paradoxale, que celle d’Alain Saey : l’artiste en effet, se défend d’avoir l’esprit mathématique. Or, toute son œuvre s’appuie définitivement sur la géométrie. Des plumetis doucement colorés, aux toiles “pointillistes abstraites”, jusqu’à l’amorce de peinture “figurative” actuelle, chaque tableau semble un creuset débutant dans l’informe ou l’anarchie formelle, sur lesquels l’artiste va progressivement brider sa fantaisie, imposer sa vigueur, plaquer ses structures !

          Donc, “figurative”, l’œuvre désormais réalisée par Alain Saey ? A son corps défendant, peut-être ; et sans jamais devenir narrative ! Car seule l’intéresse une ambiance quasi-abstraite, évocatrice plutôt que descriptive. Pourtant, sans avoir à forcer son imaginaire, le visiteur voit ici un crâne, là quelque oiseau-serpent... Un passage parfois, l’entraîne aux confins de la science-fiction ; aux franges d’une psychanalyse engendrée par des enchevêtrements de formes très fœtales ; vers des références picturales, comme ce Sourire de Vincent, etc. Mais, si Van Gogh est allé jusqu’à l’extrême folie, il est incapable d’entraîner au bout de la sienne un Alain Saey soucieux de toujours contrôler ses avancées ! Bien sûr, ce dernier propose des formes délitées ; des surfaces éclatées ; des silhouettes évanescentes... mais au dernier moment, il cerne le tout par des carrés, des ovoïdes ; ajoute des “fenêtres”, des tableaux dans le tableau ; va même jusqu’à retrouver avec la toile la relation qu’il entretenait dans sa phase “pointilliste” : un travail de très près, créant maints petits détails fignolés comme une broderie ; avec des nuances, des contrastes, faits d’à-plats mats ou d’épaisses traînées brillantes ; dans de belles teintes de bleus, des amorces de jaunes virant au blanc... Car l’artiste est un coloriste né : à un moment, il s’arrête enfin, SON monde en équilibre !

          Poussée au paroxysme dans les œuvres les plus récentes, cette démarche amène Alain Saey à partager la toile en deux parties antithétiques : celle de gauche propose une sorte d’amphore humanoïde, au crâne solidement vissé. Comme le Djinn du conte, l’homme y est enfermé, tandis que sa cage (?) est érigée parmi racines, fumées, serpents, chaînes... certitudes, menaces, dangers, contraintes... jusqu’à toucher un motif lourd de symbole (œuf gémellaire, masque hurlant sous son grimage...)  Seul élément à transgresser la partition du tableau, ce motif “flotte” dans l’espace, à l’acmé psychologique de la scène comme flotterait une musique pour retomber brutalement, après un chorus déchirant, sur un épais silence : et l’œil explorant “l’ellipse” se retrouve alors confronté à une forme géométrique sans ambiguïté, losange zébré de rectangles, surligné de cercles, etc.

 

    Peut-être, finalement, n’y a-t-il pas antithèse entre les deux “plages” ? Peut-être sont-elles complémentaires, l’une exsudant de souffrance, explorant des problèmes métaphysiques... que résoudrait l’autre, bien qu’aussi symboliquement “close”, apportant par la sécurité de son assise, la connotation indifférente de ses formes, une sérénité, à tout le moins un calme dont aurait besoin le peintre, pour parvenir un jour à enlever “le couvercle” et libérer le Djinn !?

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996 SUITE A L'EXPOSITION DE L'ARTISTE A L'UDAC PARIS