Comme chaque année, le Musée d'Art naïf de Noyers-sur-Serein apporte sa pierre blanche à la création singulière : Il présente, en 1997, un surprenant éventail de peintures et sculptures haïtiennes.

Penser à Haïti, c'est immédiatement recevoir des visions d'horreur infligées à un peuple opprimé par le dictateur Duvalier et ses "tontons macoutes" ! Voir les peintures haïtiennes, c'est voyager dans des jardins d'Eden, parmi des arbres multifruitiers, de petits villages perdus dans la luxuriance d'une végétation insolite, sous des ciels immenses… comme si ce peuple s'était détourné de l'abjection de son quotidien pour créer une vie parallèle faite de paix et de sérénité. 

     L'exposition de Noyers propose les principales tendances de cet art qui, en dépit des influences étrangères, a su garder son identité culturelle, son intense créativité, son inspiration issue d'un quotidien revisité, porté par des croyances religieuses. 

       Complètement imprégnés de culture vaudoue -ce curieux syncrétisme de rites animistes africains et de rituels catholiques- les artistes de l'Ecole du Soleil peignent à l'usage exclusif de leurs dieux.  De leur "langage" pictural, le spectateur étranger retient des scènes dont le folklore l'attire, mais dont le sens profond lui échappe : car il découvre dans les arcanes du tableau, des signes sans logique dont la présence le perturbe. 

          Ainsi, dans "La Vierge à l'enfant", la robe féminine est-elle, comme dans nombre de créations occidentales, bordée de dentelle ; et le trône sur lequel est assise la Vierge, nimbé de mille fleurs et étoiles. Mais les quatre angles de la toile sont ornés des symboles "vévé" du vaudou, reliés par un enchaînement de feuilles brunes aux fines nervures géométriques. Le corps de l'enfant est enfoui dans la robe. Par contre, incongru, plaqué contre le corps de la femme, les yeux fixes, est une sorte d'incube dont les longues pattes partent en grand écart dansant au-dessus d'une colombe. Et tout en bas, posé comme un présent, un minuscule personnage pourrait-il avoir vocation d'étendre sur l'étrange intimité de cette scène, sa protection tutélaire ? 

          Ailleurs, un autre artiste superpose une série de 'masques" aux yeux allant de clos à exorbités, dans un ovale dont les antennes vont, elles aussi, rejoindre des signes cabalistiques rencognés. Un autre encore crée des individus à têtes-lunes-couvertes d'imprécises géographies, etc. : Denis Smith, Prosper Saint-Louis, Leroy Exil, créateurs de ces œuvres, ont constitué avec Louisiane Saint-Fleurant et Richard Antilhomme, les "Cinq majeurs" du Saint-Soleil qui, estimant trop grand le danger du mercantilisme, se sont un jour "retirés sur la montagne" pour y créer un nouveau lieu collectif : L'Atelier des Cinq Soleils. Ces peintres-paysans, pétris de mysticisme, pénétrés de croyances ancestrales, sollicitent les "loas" (¹) qui leur inspirent leurs œuvres, souvent proches de l'Art brut, mais dont l'ésotérisme trouble grandement les non-initiés. 

          Plus précieuses et sophistiquées, les œuvres brunies de serge Jolimeau présentent des personnages de profil, reins cambrés et bustes galbés, en des postures gracieuses, un tantinet érotiques : entourés de lianes feuillues et becquetés d'oiseaux familiers. Là encore, de longues boucles d'oreilles, des bijoux ouvragés, ramènent cette création originale aux mystérieux assemblages fétichistes des offrandes réservées aux cérémonies vaudoues ! 

 

          Proposée par l'A.P.A.M. (Association de Promotion des Arts du Monde) qui parraine à Haïti, quatre lieux (école, dispensaire, foyer, lycée), cette exposition emmène le visiteur bien loin de ses propres racines, dans un monde pictural si exubérant, si riche et diversifié, que ce phénomène est "unique au monde et inexpliqué" : si vivace qu'il corrobore la phrase d'André Malraux, saluant en 1975, "ce peuple de peintres" !

Jeanine RIVAIS

(¹) Les "Loas" sont les dieux de la mythologie haïtienne, que les artistes sollicitent et dont ils reçoivent leur inspiration, lorsqu'à leur appel, les dieux les investissent. 

"Je peins sous l'effet des révélations qui me viennent quand je dors. Je vois en noir et blanc.  Le noir, c'est la masse du corps ; le blanc, c'est l'esprit. Je chante le chant de la création de Damballah (le plus vieux des esprits). Je lui propose la couleur bleue à l'aide de mots. Le bleu avec le blanc, puis le mauve…" (Leroy Exil. Extrait de la documentation accompagnant l'exposition).

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1997. PUBLIE DANS LE N° 60 DE JUIN 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. ET DANS LE N° 55 DE JUIN 1997 DE LA REVUE IDEART.