ANDRE MAIGRET ET LA FEMME

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"Je me trouvais en agréable société. En face de moi, assise, était Vénus… Elle était blottie dans un fauteuil". 

Cette phrase de Sacher Masoch décrit la femme qu'André Maigret s'obstine depuis des années à conquérir sur sa toile.  L'artiste peint ce qu'autrefois, on appelait des boudoirs : lieux clos sur une intimité à la fois lascive, voire érotique et souvent grave, angoissée. Les mimiques souriantes, désabusées ou tristes de ses hétaïres semblent le reflet des humeurs d'un spectateur (le peintre ? L'amant ?) toujours hors-champ. Mais tout se passe comme si l'œil ou la main invisibles caressaient une cuisse, s'arrondissaient sur une hanche, s'attardaient sur la rondeur d'un bras, suivaient l'aréole d'un sein coquettement tendu. C'est cette présence devinée, mais sans réalité physique, qui rend celle de la femme d'autant plus vivante. 

Et la complicité, l'intimité de cette scène cent fois répétée, est accentuée par les tons de peinture gris-bleuté employée par l'artiste; et par son travail au crayon qui souligne à petits traits fins, ici les plis d'une fourrure jetée sur un bras de fauteuil ; là, les contours d'un pied replié sous un corps ; ailleurs, l'orbe de lumière tamisée qui rosit une épaule… 

Parfois, deux ou trois formes féminines enlacées, languissantes, ensommeillées comme repues de plaisir, laissent penser que le "spectateur", enfin parvenu au terme de ses fantasmes, va poser son pinceau pour se reposer à son tour. 

Jeanine Rivais

CE TEXTE A ETE ECRIT EN MAI 1994, A L'OCCASION D'UNE EXPOSITION AU CENTRE VOLVO, DANS LE CADRE DU PRINTEMPS DE GAND

ET PUBLIE DANS LE N° 38 DE JUIN 1994 DE LA REVUE IDEART.