COUTURES ET FANTASMES TISSUS D’HUMOUR NOIR, chez JOEL CRESPIN, peintre

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L’histoire de Joël Crespin qui rêvait, enfant, d’être “couturière”, commence le jour où il décide de coudre sur des supports rigides, de surprenantes poupées en tissus de couleurs rembourrés, surjetés, brodés, emperlés... Jusqu’à ce que lui apparaisse le côté restrictif de sa démarche ; que naisse l’idée de distendre la toile ; en exploiter les gondolages ; encoller irrégulièrement ce matériau pour créer des géographies anarchiques ; en suivre et en accentuer les suggestions ; devenir, par le truchement de lambeaux d’étoffes, “boudins” rajoutés, plis aux angles saillants... de plus en plus autoritaire sur l’évolution de la forme pressentie ; encoller le tout pour que la peinture, bien étalée dans les anfractuosités, mate ou glacée, protégée de vernis, affirme la dissidence du peintre passé dans la troisième dimension ; créateur d’oeuvres qui sont des sculptures murales ou des peintures en relief, s’échappant même parfois de leur support pour devenir des compositions quadri faces !

Jusqu’à ce stade, Joël Crespin “garde ses distances” par rapport à l’oeuvre naissante. Mais une fois établie la “structure” de ses personnages, humains ou animaux, toujours bancals, dissymétriques, le voilà contraint de s’”approcher” d’eux : Commence alors une longue histoire d’amour entre l’artiste et son sujet : Le nez collé dessus, il va déployer toute son imagination pour l’orner, le piqueter d’infimes pointillés, l’agrémenter de myriades d’étoiles minuscules, le guillocher de mille petites lignes brisées ou onduleuses, le fleuronner, l’incruster, le carreler... le tout dans des rouges flamboyants, des jaunes éclatants, des bleu-pervenche et des vert-jade! A ces quatre couleurs dont les combinaisons font exploser son univers, le peintre concède quelques nuances provoquées par des surlignages ; quelques déviations perdues dans les intrications des fonds ; quelques plages de blanc qui assurent des contrastes, instaurent des équilibres, introduisent la psychologie, engendrent la “vie” des personnages.

Car Joël Crespin possède au plus haut point le sens du mouvement : Ses créatures ne sont jamais dans une attitude naturelle et posée, mais prises dans un élan “vers”... Ces blancs génèrent également les dualités des têtes en creux/en relief, yeux rieurs/larmoyants, masques bifaces vie/mort, etc. Parallèlement, naissent des paradoxes, comme celui de la "Femme-fleur" dont la bouche rouge et lippue de goule prête à mordre détruit immédiatement la connotation d’innocence, introduit la perversité et l’humour le plus sombre. Paradoxes encore, les lourds cernes noirs qui détruisent toute idée de communication préalablement créée par la profusion de couleur!

                Tout serait donc limpide dans cette démarche où l’artiste va et vient d’une grande liberté plastique à des réactions contradictoires provoquées ; n’était qu’il est parfois dépassé par son inconscient : S’il assume sereinement la main tenant la tige-phallus d’une fleur ; s’il jongle avec les dérèglements érotico-burlesques de ses houris aux seins provocants... a-t-il une réponse pour les bouches cousues à gros fils gris ; et surtout pour l’inégalité patente entre les protagonistes de ses couples où la femme est toujours belle, sensuelle, succube impérieuse dominant de sa haute stature l’homme petit, au faciès veule, voire carrément débile ?

Tout compte fait, l’univers fantasmatique de Joël Crespin n’est pas aussi simple qu’il y paraît! Certes, il est permis de “caresser” sans états d’âme le dos langoureusement cambré de ses chattes ; batifoler aux côtés de ses dérisoires défilés... Mais il importe de ne pas se laisser prendre à l’apparente désinvolture de ses surfilages, ses avancées, libératoires de tous les interdits, pour être finalement susceptible d’entrer dans son rêve, démêler les implications des “noeuds” psychologiques corsetant perversement les étranges personnages de cette oeuvre picturale attachante, provocatrice et dubitative !

                                      Jeanine Rivais