Drôle de couple que ces Moiziard, amateurs de vieilles maisons perdues au fond de vallées enfouies dans les grands bois ; de vieux meubles portant la patine de milliers de mains depuis longtemps disparues ; de vieux bibelots dont ils ignorent parfois quelle a pu être leur utilité. Et surtout artistes de la tête aux pieds : comédiens, chanteurs avec deux belles voix, celle de Jean se situant assez haut, vibrante, parfois un peu acide, d'autres fois veloutée ; celle d'Andrée sachant être douce comme une confidence, ou un peu gouailleuse, donnant aux chansons qu'elle interprète un balancement de ritournelle. Et surtout artistes plasticiens talentueux ; mais modestes, cherchant toujours, se posant des questions sur la profondeur de leur investissement ; complètement étrangers à toute forme de mercantilisme, malgré une situation financière continuellement bancale. Elle, peintre naïve d'une grande inventivité ; lui, peut-être pas sculpteur au sens où il retouche peu les objets de récupération dont il se sert, mais créateur d'installations minuscules qu'il met sous globes. Aucune animosité, aucune tentative d'influence, de préséance, aucune trace de jalousie sous-jacente : chacun respecte absolument la création de l'autre : ce couple a véritablement développé une harmonie amoureuse et picturale à faire damner un saint !


VILLAGES ET PAYSAGES  D'ANDREE MOIZIARD, peintre


***********

Une vocation d'adolescente, née de l'admiration pour un professeur, a amené Andrée Moiziard à une création picturale très personnelle, conçue avec une grande modestie, une perpétuelle volonté de se remettre en question. Longtemps, elle a peint sans envisager moindrement d'exposer. Et le regard d'autrui, maintenant qu'elle montre parfois son travail, l'amuse beaucoup ; d'autant qu'une fois posées sur des cimaises, elle n'a plus le sentiment que ses oeuvres lui appartiennent ! Un tel détachement l'a empêchée de les sacraliser, l'a protégée de l'arrivisme, et l'a amenée à toutes sortes de fantaisies : les découper si elles n'entrent pas dans un vieux cadre patiné qui a attiré son attention dans quelque vide-greniers ; modifier complètement les couleurs si un ensemble ne la touche pas assez, etc.

          Forte de cette liberté créatrice, Andrée Moiziard est une authentique artiste. Totalement autodidacte, elle est préoccupée de petites scènes de son quotidien, qu'elle transforme à son gré, pour en exprimer la poésie ; générer, autour de ce qui pourrait être banal, un véritable enchantement ! Par ailleurs, comme la plupart des Naïfs auxquels elle appartient sans conteste, elle ignore la perspective, et s'interroge souvent pour savoir si ses maisons tiennent bien debout ? Avec la vague conscience qu'il n'en est rien ! Mais ce qui la sauve, c'est un formidable instinct de l'équilibre ; un système inné de compensation, en quelque sorte : pendant très longtemps, un élément était-il de guingois, immanquablement un pont proposait ses arches dont les courbures remettaient tout d'aplomb. Plus sûre d'elle au fil du temps, elle a appris à varier les éléments réactionnels : Un chemin perpendiculaire à une maison, monte désormais vers le haut de la montagne ; une rivière profile horizontalement ses méandres au milieu de champs verticaux ; un village se pelotonne comme dans le conte d'"Hans et Gretel", derrière un barrage qui le protège de la mer menaçante ; les abîmes glauques de La Fosse Dionne à Tonnerre disparaissent dans l'embrasure d'une fenêtre gothique, à la ferronnerie très ouvragée, etc. Parfois, de rares personnages animent la scène, posant enlacés au bas des marches de leur maison aux fenêtres éclairées d'une chaude lumière. Des jeunes filles, n'ayant pour tout vêtement que leur longue chevelure, s'ébattent dans une prairie bordée de hauts rochers, inconscientes de quelque bouc haut encorné  et de vieillards vêtus de rouge, en train de les épier : surprenant paradoxe entre Eden et bacchanales ! 

          Le rouge est d'ailleurs rare dans les oeuvres d'Andrée Moiziard qui, n'ayant à l'origine qu'une toute petite palette, avait pris l'habitude de peindre dans les nuances de bruns dont elle disposait ! Pourtant, progressivement, son style a évolué : L'artiste a un jour commencé à superposer sur ses gouaches, des cires de différentes teintes ; créant des transparences, déterminant géographiquement des influences ou laissant tout bonnement faire le hasard : A mesure que la gouache s'imprègne de cire, elle prend d'étonnants aspects de peinture à l'huile qui modifient l'équilibre de la toile, créent des ombres, font ressortir des passages lumineux, génèrent des flous qui, soudain, font penser à Turner ! Travail d'une infinie précision, progression de tous les dangers car, à chaque instant la chaleur d'une paume trop appuyée peut détruire la patine si longuement élaborée !

          Parfois, lasse peut-être de ce cheminement de fourmi qui la lie à sa toile, Andrée Moiziard se lance dans des créations différentes qu'elle nomme des Scénographies : tableaux faits de vieux objets récupérés, racines, polyuréthane brûlé et remodelé... Travail sur l'éphémère car, avec son sens de l'humour, l'artiste a compris  -comme pour ce chameau qui, dans une barque, a pris la place d'un minuscule couple de mariés...- qu'un objet ou un personnage disparus* lors d'une exposition, peuvent être remplacés par d'autres qui donneront un sens nouveau à sa composition ! Quelles que soient les mutations opérées, la scène (momentanément) finale est tendre, complice, se détachant nettement sur un fond indéfini sauf pour un coin de ciel ; dûment encadrée par une artiste incapable de progresser dans l'espace ! 

Ainsi, le talent d'Andrée Moiziard l'a-t-il emmenée bien loin dans le monde de la création singulière ; un peu onirique, un peu rétro, toujours harmonieuse et chaleureuse ; à l'image de la maison qu'elle s'est aménagée, écrin d'une vie sertie comme les cadres évoqués plus haut qui apportent une touche précieuse à ses images d'une oeuvre picturale, certes, mais surtout d'une vraie philosophie du bonheur !

Jeanine RIVAIS

**Elle trouve très jubilatoire que des enfants (!) aiment son oeuvre au point d'en voler un élément !


CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 66 DE JANVIER 2000 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA