CIRCUMNAVIGATIONS ET ETHNOLOGIE CHEZ MICHAËL BETHE-SELASSIE.

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Femme africaine
Femme africaine

S’appuyant sur Beth qui signifie “maison”, et Sélassié “trinité”, Michaël Bethe-Sélassié joue sur les mots, emmène le visiteur vers son patrimoine ancestral, vers les nostalgies inhérentes à son déracinement, vers SA Maison de la Trinité, l’Abyssinie : ce nom aux sonorités mouillées, creuset en ses quatre points cardinaux du Christianisme, l’Animisme, l’Islam et le Judaïsme, voire un peu de paganisme romain, a bercé son enfance. Ses contradictions et ses complémentarités illustrent une démarche tournée vers ses racines, mais suffisamment intelligente et curieuse pour empiéter sur les autres cultures africaines et s’imprégner des savoirs occidentaux. Elles se retrouvent dans une oeuvre puissante, folklorique au sens noble du terme, très profondément allocentrique !

Transport de vestiges
Transport de vestiges

Tout de même, avant de “migrer” vers des connotations étrangères, Michaël Bethe-Sélassié revient aux gestes artisanaux, ébauche une armature en baguettes de rotin, la renforce de métal grillagé ; et, à petits gestes immémoriaux de la main, recouvre cette infrastructure d’une multitude de copeaux de pommes de terre, d’agglomérats de cellulose mouillée ; oblitère peu à peu le “squelette” de cet “être” encore anonyme. Avec lui, l’artiste va cohabiter plusieurs jours, jusqu’à ce que la matière séchée tel un fruit lentement mûri, soit prête à être “personnalisée”.

Le roi de Chiffonville
Le roi de Chiffonville

Curieuses créations, d’ailleurs, mélanges de personnages plats sur montures en reliefs ; chars brinquebalant, véhiculant des auriges tournés vers l’arrière... Mais ces paradoxes ne sont qu’apparents, car une fois posée la “peau” colorée, l’élégance extrême générée par ce déséquilibre montre que si les deux éléments sont supposés appartenir à des schémas mentaux différents, ils ont en réalité été conçus “ensemble”.

Fantasia
Fantasia

Plus surprenants encore sont les autels, véritables cités aux multiples recoins au fond desquels se nichent des individus : car aucune oeuvre de l’artiste ne présente un unique personnage. Même le moins élaboré devient une sorte d’ex-voto porteur de figurines dont chacune en génère une autre aux yeux grands ouverts sur la vie, aux jambes en relief, aux bras collés le long du corps, car “les hommes ont le droit de parcourir le monde, pas de le toucher”. Toute une symbolique généalogique couvre, à la manière des portes de greniers d’Afrique Noire, les mégalithes multifaces de Bethe-Sélassié : en haut, le patriarche, majestueux et bienveillant, puis ses guerriers, etc. Tout du long, s’ouvrent des passages ombreux, car la coutume exige que le voyageur puisse “entrer par toutes les portes de la ville”.

Totem
Totem

Et les couleurs ! Broyées comme celles des peintures rupestres à partir de terres et de pierres, leurs polychromies confèrent aux oeuvres la chaleur vibrante des tonalités rituelles, l’harmonie rythmique des rouges purpurins, des bleus des grands ciels éclatants, des ocres des terres assoiffées du désert...

   Finalement, la remarquable unité de l’oeuvre de Mickaël Bethe-Sélassié montre qu’à travers son africanité revendiquée, il est parfois en accord avec ses circumnavigations et ses explorations ethnologiques. Même les cromlechs colorés, les rois mages, les acrobates de cirques... qui, dans son esprit lui font faire un détour par les civilisations occidentales, le ramènent en fait aux palabres, aux danses, aux totems dispensant sur le village ancestral leur ombre tutélaire.

                                                           Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996.