UN MERVEILLEUX CONTE DE FEE

ou LA VIE DE GISELE PRASSINOS

(poète et écrivain, réalisatrice de tapisseries) 

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          Certes, Gisèle Prassinos appartenait à un milieu très cultivé puisque, à Constantinople où elle est née, son père  -d’origine grecque-  dirigeait  une revue de poésie ! Mais l’obligation d’émigrer en France, le fait de se retrouver pauvre et isolée dans une banlieue, où chacun a dû retrousser ses manches pour subsister, aurait pu éloigner définitivement la famille du monde de l’art !          Seulement, voilà : bon chien chasse de race ! Aquatorze ans à peine, la fillette se retrouve photographiée par Man Ray en train de lire ses poèmes aux Surréalistes pour qui elle est devenue objet d’admiration : elle s’est mise, en effet, à écrire "pour faire rire son père et son frère", des  textes qui semblent l’illustration parfaite de leurs conceptions sur l’écriture automatique ! Si parfaite qu’ils doutent de l’authenticité de ces créations et soumettent à des épreuves probatoires une Gisèle Prassinos très amusée de cette aventure et prompte à démontrer qu’elle est bien l’auteur des poèmes !... De sorte que, convaincu, André Breton déclare : "Le ton de Gisèle Prassinos est unique : tous les poètes en sont jaloux !" Ainsi paraissent dans "Le Minotaure", "Documents 34", etc., des recueils comme "La sauterelle arthritique", "Un feu maniaque"... L’adolescente traverse ces péripéties avec la plus grande modestie ; pourtant, son opinion ne manque pas de piquant, sur des gens qui lui semblent tellement plus âgés qu’elle, parce qu’"ils (sont) sérieux comme des papes !": "Je ne comprenais pas un mot de ce qu’ils disaient (de moi)", dit-elle, "et ils ne m’adressaient jamais la parole... J’ai simplement remarqué que Breton mangeait du jambon dans un papier, et qu’il avait des souliers ouverts à l’avant ! Par contre, ce qui me frappait, c’était sa  beauté !" (¹) 

        Jusqu’aux années de l’immédiat avant-guerre, se succèdent poèmes, contes... indépendamment du désintérêt croissant des Surréalistes pour qui la prodigieuse femme-enfant a grandi trop vite... Pire, le poète qu’elle est devenue a trouvé sa voie sans se préoccuper d’eux ! Une voie qui l’amène d’ailleurs à prendre conscience qu’elle n’a plus envie d’écrire sous la même forme. A la suite de quoi, les oeuvres, partant d’une réalité cohérente, basculent soudain dans l’irrationnel, et deviennent fantastiques. A la même époque, Gisèle Prassinos, plongée dans son monde résolument créatif, jalonne sa vie de livres dont deux seront des étapes capitales : son autobiographie, réalisée en deux volumes indépendants : "Le temps n’est rien" suivi, par nostalgie, de "La Voyageuse". 

          Une fois encore, l’auteur se raconte des histoires dans un fabuleux mélange de genres... jusqu’au jour où la plasticienne rattrape l’écrivain : depuis l’enfance, en effet, Gisèle Prassinos s’est amusée à dessiner des caricatures doublées de longs titres très élaborés. La voilà désormais créant des sortes de créatures aux mains-cuillers, clefs, clous... ; aux moustaches-serrures... Collages très colorés et humoristiques que, refusant d’appeler “sculptures”, elle nomme “Personnages de bois”.         

          Et elle arrive à des tentures de feutrine, aux magnifiques harmonies de couleurs, aux personnages “vêtus” de façon très raffinée, souvenirs peut-être, de magnificences orientales ?... Oeuvres à la fois très stylisées et descriptives, résolument naïves, véritables contes de fées, drôles, gentilles et tendres, exquisément brodées ; nanties elles aussi de titres interminables comme "Le vieux roi David couvert d’habits pour se réchauffer. La vierge Abisag assise sur ses genoux, est aussi chargée de le réchauffer"...       

                 Plus d’un demi-siècle s’est écoulé ! Mais au fond, Gisèle Prassinos a-t-elle vraiment grandi, depuis le temps de ses quatorze ans ? A considérer son oeuvre si riche et multiple, il est évident que la petite égérie des Surréalistes est devenue un écrivain de grand talent et une plasticienne originale. C’est ce qu’a prouvé la très belle exposition exhaustive que lui a consacrée, au printemps 1998, la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris ! Mais cette grande dame a gardé un caractère si primesautier malgré sa discrétion ; on sent tellement d’humour dans sa vie, qu’elle n’est peut-être pas tellement éloignée des matins où, avec son frère Mario, elle allait au marché acheter des ... trous de gruyère !

Jeanine RIVAIS

 (¹) GISELE PRASSINOS : "Entretien avec Jeanine Rivais, à paraître  au "Cri d’os", revue de poésie, en décembre 1998.

(²) LE MONDE SUSPENDU DE GISELE PRASSINOS" d’Annie Richard, Editions Huguette Bouchardeau. B.P. 5. 30670. AIGUES VIVES. (³) A paraître : "LA BAIGNOIRE" : Editions Flammarion.

 

 

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         Les Editions Huguette Bouchardeau publient, à l’occasion d’une importante rétrospective présentée au printemps 98 à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, un beau catalogue des réalisations picturales de Gisèle Prassinos : caricatures liées à l’imaginaire adolescent ; personnages de bois ; tapisseries finement brodées y évoquent la continuité d’une oeuvre commencée dans le flamboiement de l’admiration des Surréalistes, continuent dans la facture plus feutrée d’une créatrice qui a pris le parti de réaliser des sculptures  (même si ce mot lui déplaît, car elle lui préfère “des collages”) et écrire uniquement ce qui lui plaît ! Annie Richard analyse les différentes périodes de la progression de Gisèle Prassinos, établit les parallèles, les croisements ou les interférences avec son écriture si éminemment personnelle qu’André Breton déclarait : “Le ton de Gisèle Prassinos est unique. Tous les poètes en sont jaloux !”       

           Dans le même temps, H.B. éditions réédite "Mon coeur les écoute" (paru en 1982), série de nouvelles à la fois délicates et angoissantes, où l’auteur “se” raconte en employant un “je” presque toujours masculin sans ambiguïté, parfois supposément féminin (Cela) : En divers récits, l’auteur  narre la décrépitude de son corps ! Ou plutôt comment, refusant de grandir, et surtout de vieillir, elle imagine cette dégénérescence progressive, l’incapacité où il se trouve de lui être “utile” ; comment sa peur de penser, devenir responsable... la ramène “aventure” après “aventure”, (nouvelle après nouvelle) à une vie purement végétative !     Un beau petit livre, illustré de façon originale et poétique par Gisèle Prassinos. 

   J.R. 

H.B. Editions, 41 rue de Calvisson. 30670; AIGUES-VIVES. 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998.