Au moment où les facétieux petits jouets de Danielle Le Bricquir faisaient la nique aux visiteurs sur les étagères de l'Oeil-de-Boeuf (1), sa Danse Macabre battait sur les cimaises de la Galerie Michel Rey (2) son rappel du passage du temps.

          Conçus de pied en cap par l'artiste, découpés à la scie, limés, collés, rivés... à la sueur de son front, ces jouets ont, sous la peinture, le toucher mal poli de ceux qu'apportait autrefois le Père Noël ou créaient sur fond de guerre à la campagne l’oncle ou le grand-père bricoleur. Et, des jouets de la savane africaine ou du bidonville brésilien, ils ont le côté "récup” du camion rudimentaire bricolé avec des morceaux de bois disparates ou de la chèvre avançant grâce à des roulements à bille dénichés Dieu sait où ! Et puis, elle n'a pas oublié le petit bâton pour les guider ou la ficelle pour les tirer ! Tous ces menus détails qui font des jouets d'"ailleurs" des objets ethnologiques soigneusement gardés dans des musées (3), donnent à ceux de Danielle Le Bricquir leur authenticité surannée, montrent combien, cette fois encore, elle a replongé vers son enfance, ses racines, et retrouvé la magie des poésies rencontrées dans ses voyages. Cette nouvelle création véhicule sur des roulettes pas forcément très rondes, toute la spontanéité qui caractérise l'artiste, impose comme œuvres d’art ces petits objets jubilatoires ; et, par sa sincérité, noue d'une simple caresse, une boule de nostalgie dans la gorge d’un public féminin qui, pour jouer a dû apprendre à coudre ses poupées, et masculin qui a creusé ses premiers sillons avec un bœuf en bois traversé de cornes en fil de fer ! Un microcosme d'amour, d'humour où les cavaliers affolés lèvent les bras parce que le cheval court trop vite, où le diable jaillit de sa boîte dès qu’on soulève le couvercle, où les vacances de "36” commencent sur un tandem à six places, etc. dans un grand flamboiement de rouges, de jaunes et bleus chaleureux, de collages, reliefs, griffures ou ciselures, bref du vrai Danielle Le Bricquir de la meilleure veine !

 

La même que celle de cette Danse Macabre sur toile de jute, entière­ment conçue dans des ocres ; rehaussés sur les personnages de vermil­lons et de jaunes. Certes, l’artiste a familiarisé les visiteurs de ses exposi­tions avec sa relation à la mort en les entraînant depuis longtemps dans ses légendes celtiques : elle les fait régulièrement côtoyer l'Ankou allant quérir le dernier de l'année à "quitter" son village ! Mais ici, pas de détours culturels, le squelette dans toute sa crudité, fauchant, tirant, traînant indifféremment les humains de tous âges, sexes ou milieu social !

          N’y aurait-il pas incongruité dans cette conception simultanée de jouets, symboles de vie et de bonheur, et une danse macabre ? Certes non, car cette dernière, malgré sa connotation incontournable, n'est porteuse d’aucune morbidité où la mort danse, rit de toutes ses dents, shoote dans le ballon de l'enfant ! En même temps, elle promène au milieu de la petite communauté ludique qui pourrait bien de ce fait, être "pour adultes seulement", sa faux sur l'étagère, derrière le minuscule train de l’été ; une gentille femelle tire un grand méchant loup à la langue bien rouge qui porte dans son ventre... leur progéniture ? ou les "enfants" déjà dévorés ? etc. Finalement, toile ou jouets, un monde composite témoignant à l’instar des peintures et sculptures, de l'intensité indissociable des bonheurs et angoisses de l’artiste, son mal de vivre soufflant le chaud et le froid, son habituelle démesure capable de rire au milieu des larmes !

Jeanine RIVAIS

 

(¹) L’œil-de-bœuf : Galerie Cérès Franco : 17, rue Quincampoix. Paris.

(²) Galerie Michel Rey : Passage Molière. Paris.

(³) Dans le cadre de l’exposition "Art brut et Compagnie", la Halle Saint-Pierre a présenté la Collection de Plan International, association d'aide aux enfants du Tiers Monde. 

 

Les jouets et autres œuvres de Danielle Le Bricquir sont à la Création Franche (BEGLES, actuellement au Parc régional de Bretagne ; et au Musée d'Art Naïf de ZVOLLE (Hollande).

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1995.