LES CHIFFONNETTES DE JOSETTE RISPAL

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Les multiples talents de Josette Rispal l’emmènent tantôt dans des fonderies pour y mouler en bronze des sculptures anthropomorphes ; tantôt à Murano pour y couler fleurs aux pétales multicolores ou bustes humanoïdes incrustés de filets d’or ou de terres aux couleurs chaudes ; tantôt vers la construction d’arbres-personnages holographiques, révélant en leurs poitrines glauques d’étranges cités englouties... Il faudrait parler encore de chandeliers dans l’église du Gros-Caillou, de sculpture géante éclairant de ses vibrations lumineuses le Col du Puymorens... de tout ce qui, en fait, joue avec la lumière !

Parfois, lasse peut-être de ces matériaux qui, aussi chaleureux soient-ils, sont “durs”, l’artiste en vient à des créatures de tissus, et exerce son talent à aiguille que veux-tu, sur des anatomies molles rembourrées de substances souples : elle réalise alors des personnages grandeur nature, ou de petites bonnes femmes qu’elle groupe en plages de couleurs sur des tentures noires : Josette Rispal est dans ces moments-là, dans le monde de ses Chiffonnettes !

Il faut dire que cette idée de poupées de tissu ne lui est pas venue fortuitement. Travaillant voici des années dans un hôpital de jour pour enfants malades, elle a entrepris de créer pour eux une atmosphère fantasmagorique capable de les faire rêver, offrir un répit à leurs souffrances ; les faire participer, eux dont les courtes vies étaient menacées, à la genèse d’un monde créé à leur aune. Déjà, elle avait en tête de somptueuses mises en scène qu’elle concrétisa plus tard à travers bois et châteaux. En l’occurrence, elle avait transformé le couloir déshumanisé du pavillon hospitalier en une sorte de caverne aux couleurs infiniment diverses, peuplée d’êtres multiformes, à la fois ses oeuvres et les créations enfantines !

Le temps a passé. Josette Rispal a progressivement peuplé sa maison d’une foule de personnages textiles, des femmes presque exclusivement. S’y côtoient l’adolescente émancipée style 1930, à la robe à franges effrontément échancrée ; la douairière enfouie dans ses fourrures, sous son chapeau très “class” ; ou encore la fille de rues vêtue surtout de ses colifichets, etc.

Chaque fois, s’impose pour l’artiste le même cérémonial : créer un corps tout simple, comme en ont cousu dans leur enfance les petites filles d’autrefois –et elle était du nombre-- qui n’étaient pas assez riches pour s’acheter des poupées. Seuls, changent leur taille : l’une a de larges épaules, l’autre est plantée sur de longues jambes raides... et leur aspect originel : l’une est de tissu uni, l’autre est à fleurs ou à constellations stellaires... Après cette mise en forme, vient le temps de donner souffle à chaque objet encore inerte : coller les yeux, peindre la bouche, broder les pommettes, fixer autour du visage fils de laine, papillotes, tournures de cuivre ou couronnes de perles qui deviennent autant de chevelures opulentes ; retrouver inconsciemment des constantes dans ces fantaisies circonstancielles liées à des harmonies instinctives : il est “impossible”, par exemple, que soient “oubliés” le nombril toujours incrusté de grains de verre scintillants, de petits nœuds ou de cocardes ; et le sexe nanti ici de fleurs, là d’un masque ou d’une marotte ; parfois d’une boucle de métal qui ressemble fort à une ceinture de chasteté...

Et puis, arrive le moment de régler l’ensemble des détails qui vont faire de ces objets déjà un peu “vivants”, des êtres imposant d’emblée leur personnalité : précieuses ; modestes ; tristes ; étonnées roulant de gros yeux ; ou provocatrices pointant leurs énormes nez ; très kitsch ou délicatement sophistiquées ; juchées dans les arbres ; allongées mollement sur un banc ; ou en pyramide ascensionnelle au-dessus d’un pot de fleurs.... ainsi se succèdent ces créatures nouvelles, dans ce travail de petite-main.

C’est à ce stade-là, d’ailleurs, que Josette Rispal est la plus proche des créateurs d’Art-Récup’, fouinant dans sa boîte à boutons, dans la caisse de plumes, le pot de perles, le sac de fleurs.... Grâce à ces trouvailles incontournables ainsi exhumées, l’habit fait le moine, telle poupée couverte de boules de cotillon devient clown ; une fillette-fleur semble émerger de l’univers du Magicien d’Oz ; un morpho agite ses ailes irisées de part et d’autre de son corselet rose, etc. Chaque nouveau protagoniste est embelli de ces brimborions et fanfreluches ré-anoblis par cette seconde vie. Dans le même temps, elle conserve par le truchement de ces “richesses” banalement usuelles ou patrimoniales un jour aimées trop tôt jetées, la mémoire d’une société qui s’en soucie comme d’une guigne.

Par contre, et paradoxalement, si Josette Rispal est brocanteuse dans l’âme et adore prospecter au long des rues, en quête de choses anciennes qui lui paraissent curieuses, la partie la plus importante des tissus qu’elle inclut dans ses “mises en vie” échappe à l’usure du temps qui donne aux objets issus des greniers séculaires une patine si doucement désuète, un aspect tellement vieillot ! Apportés par des amies sitôt terminés les rideaux ou la robe... ils gardent le lustre et l’apprêt des matériaux flambant neufs ! Mais la vétusté ne semble pas être le but recherché par l’artiste, et cette connotation esthétique liée à des étoffes fraîches lui convient apparemment d’autant plus qu’il s’agit de cadeaux offerts dans l’amitié. Que ses Chiffonnettes sont le témoignage d’une sorte de chaîne ludique qui s’est soudée au fil des années, en direction de ses étagères et ses bocaux occultes ; de ses oeuvres, par voie de conséquence !

Pas étonnant, en tout cas, qu’avec des “réserves” à l’infini de brocarts chatoyants, de velours moelleux..., ses créatures soient tellement “tactiles” que le public ne puisse s’empêcher de transgresser les consignes, et soit “obligé” de toucher !

Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 69 DE JANVIER 2001 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.