FONTAINES, MOUSSES ET LICHENS : LA PROMENADE AGRESTE D’ANNIE ALBERT

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Sculpteur, Annie Albert crée dans des terres monochromes, des femmes nues, aux courbes idéalement galbées, prenant des poses langoureuses, gentiment érotiques. Et, cherchant toujours l’esthétique, réalise des projets de fontaines-plantes dont les feuilles s’épanouiraient en forme de vasques ; fontaines-coquillages telles des conques dont ne subsisterait que la spirale à la fois solide et élégante ; et, invitant à boire comme naguère aux places des villages brûlés de soleil, fontaines-mains, arrondies en coupe autour du filet d’eau. Le visiteur imagine le plaisir qu’il éprouverait si, au cours de ses voyages, il s’arrêtait un soir près de l’une de ces œuvres agrandies qui le rafraîchirait de son eau cristalline ! 

Dessinatrice, Annie Albert, que des attaches familiales entraînent souvent aux Iles sous le Vent, replonge chaque fois dans les foules denses de leurs marchés et de leurs carnavals. Elle réalise des groupes compacts, comme agglutinés, d’où, ici, émergent quelques têtes, là des paniers de lourds fruits exotiques, ailleurs un masque ou un chapeau de cérémonie…

          Il faut dire que le pastel sec qu’elle utilise est un matériau dur qui râpe ou érafle le papier et, s’émiettant ou résistant de façon aléatoire, se prête peu à des lignes précises. Mais l’artiste en a acquis la maîtrise absolue; et c’est l’outil idéal pour les lieux où elle « prospecte » actuellement : de vieux murs de pierres sèches dont des joubarbes aux délicates fleurs jaunes fouissent le torchis ; des rochers de Bretagne entre lesquels courent des lichens argentés et des algues brunâtres ; de vieux arbres mangés de mousse ; des schistes crevassés et des éboulis où sont nichés des orpins roses et des lupins sauvages… Chaque fois, elle sait rendre l’aspect métallique ou érodé des minéraux, l’ouaté des tiges ; jouer des contrastes entre la dureté, la raideur des uns, la douceur, la flexibilité des autres. Elle passe et repasse les fonds qui, peu à peu, « deviennent » le roc ou la touffe herbacée. Tout au long de cette « gestation », le spectateur « sent » la rotation du poignet qui se fait souple ou raide, léger ou appuyé, qui écrase la mine ou effleure le support, s’accroche sur les trames ou le granité du papier… Ainsi, l’artiste fait-elle éclore lentement ses dentelles et ses friselis de  tigelles naines ; tresse ses entrelacs de branches dans des clairières où le soleil pose ses flaques adoucies ; donne vie à des plumetis de minuscules usnées, à la neige frangée de rose des pommiers en fleurs dans les bocages… esquisse les bords d’une souche fendue comme l’entrée d’une grotte ; rend impénétrables les sous-bois de fougères…

           Inutile de chercher le « typique », le « folklorique » dans cette quête de nature « racontée » par Annie Albert. Ni même la luxuriance ! Seuls l’intéressent, l’émotion de la « découverte » d’un petit coin végétal dont la plupart des gens ne soupçonneraient même pas la présence ; le pincement au cœur, l’intimité de la rencontre avec ce lieu secret de vie, l’éblouissement d’une trouée de ciel autour de laquelle s’estompent les nuages, les jeux des ombres sur l’eau dormante…tout ce qui, finalement, suggère son don d’observatrice, un esprit alerte, prêt néanmoins, à se plier aux petites contraintes d’une avancée précautionneuse… et au détour du chemin, la rêverie inhérente à la solitude! Et, même s’il s’agit de plantes, elle manifeste là, la patience de l’entomologiste qui sait se pencher gravement sur un infime détail, regarder et …voir !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2007.