ETRANGES, LES PETITES CREATURES DE TARDIVO, peintre

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Toutes les oeuvres de Tardivo ont une géographie commune : un espace sans définition sociale, sans géométrie ni perspective. Simplement, un “territoire” entouré –protégé ? -- par un encadrement blanc dont les bords intérieurs sont maculés de taches de peinture de couleurs violentes (noirs, jaunes ou rouges crus ; verts et bleus plus épisodiques, en aplats fortement délimités). Sur cette “frange” se détachent parfois des lambeaux de phrases. Mots souvent incomplets, placés là non pas apparemment pour délivrer un “message”, mais pour cerner culturellement le lieu de vie des créatures qui l’habitent ; créer un équilibre à partir de ce qui constitue finalement un cadre dans le cadre ; au “centre” duquel, et à l’avant-plan, dans des nuances de blancs crémeux ou grisâtres, tel un foetus dans son milieu confortable, se trouve un “être vivant” !

Toujours homomorphe, ce petit personnage est aussi toujours de face, semblant “poser” pour le spectateur ! Et, sur les cimaises, ce sont d’étranges instantanés de non moins étranges figures, intemporelles, toutes semblables et néanmoins chaque fois différentes, dessinées sans souci de réalisme, exécutées de façon très rudimentaire. Ces créatures à la tête sans cou , large et massive, rivée sur le corps-vêtement, sont solidement campées sur des jambes minuscules terminées par des pieds de formes si bizarres qu’ils ont l’air parfois de petits animaux blottis aux... pieds de leur maître ! Simples, tellement simples que, de prime abord, elles ressemblent à s’y méprendre à des dessins enfantins !

Mais, immédiatement, intervient le sens inné de la mise en scène de Tardivo. Car c’est bien là le sommet de son art : savoir, l’air de rien, uniquement avec un trait (volontairement) perturbé, parfois haché, comme incertain, rendre évidente dans leur immobilité de façade, l’existence de ses personnages. S’imposent alors les gros yeux charbonneux pleins d’expressivité ; malicieux, penauds ou dubitatifs... jamais méchants ; écartés aux limites de la tête inclinée. Et puis de larges oreilles décollées des crânes chauves. La bouche, grande ouverte, comme rajoutée sur le visage, détachée même parfois à la manière d’un gros cigare ; ou au contraire, fixée par un fil qui ferait le tour de la tête ! Le nez, souvent absent ou se promenant à son gré en quelque stratégie faciale inattendue ! Quant aux bras, ils semblent “poser problème” à l’artiste : tantôt ils sont démesurément longs, soudés au corps ; tantôt atrophiés, presque inexistants ; mais, dans tous les cas ils se terminent par d’énormes mains à trois ou quatre doigts boudinés, largement épanouis.

Inutile, donc, de chercher dans ces compositions, morphologies raffinées, narrations ou descriptions complaisantes. Seules sont évidentes les silhouettes à l’impact à la fois débonnaire et ludiquement grave, la fantaisie tendre et poétique de cette oeuvre éminemment personnelle. Tout se passe comme si, désireux de rendre autant de souvenirs vivaces rémanents, d’impressions brèves fouettant comme des flashes son imaginaire, le peintre gardait en tête –au coeur aussi, vu la constance de son investissement pictural –, les caractères essentiels de l’être humain ; et, en toute simplicité, les restituait sur sa toile ! Il offre de ce fait au visiteur, une oeuvre puissante et singulière ; qui, en raison de sa réflexion personnelle, l’écarte de la création brute dont sa démarche esthétique est pourtant proche ; qui est souvent un peu naïve par la manière dont le concernent ses états d’âme traduits par chaque tableau ; mais qui surtout, par son chromatisme, sa stylisation et son goût du “portrait” le place dans la famille multiforme des Expressionnistes.

Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS IDEART N° 65 de mars-juin 2000. Et : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S).