Est-ce parce qu’ils ont fui des musées déshumanisés par un Art contemporain qui leur déplaît, que des « conservateurs » improvisés ouvrent avec des moyens souvent modestes, de nouveaux lieux atypiques, proposant des expositions d’une remarquable qualité ? De belles manifestations, montrant des œuvres d’artistes créatifs, souvent de réputation internationale, qui acceptent de bonne grâce de jouer le jeu ! Tel est le cas de l’exposition présentée par Yves Segaud à Cuisery, petite ville située au milieu de la Bresse bourguignonne : Ce mordu d’un art riche et convivial a demandé à Pierre Souchaud d’inviter quelques-uns de ses plus anciens « amis picturaux ».

Les artistes présents au vernissage autour de Pierre Souchaud.           Pierre Souchaud (Centre) avec Yves segaud
Les artistes présents au vernissage autour de Pierre Souchaud. Pierre Souchaud (Centre) avec Yves segaud

          S’il fallait trouver le lien entre ces créations tellement personnelles, ne serait-ce pas la couleur, jaillissant des cimaises en des harmonies très vives, ou au contraire, mais sans hiatus, des dissonances saisissantes ? Ne serait-ce pas surtout, la façon dont ces œuvres se situent hors de toute géographie raisonnable, de tout contexte social, de tous courants, de toutes modes… ? Et puis, leur faculté d’emmener le visiteur en des mondes d’étranges allochtones se mouvant dans des paysages fictionnels d’une grande puissance imaginative, ou à visages humains, mais placés en des attitudes d’une fantasmagorie toujours très psychanalytique ? 

Ainsi, ce visiteur passe-t-il des grands concepts de Moris Gontard, jetés sur la toile, avec leurs épaisseurs de matières longuement pétries, qui se veulent abstraites sans pouvoir tout à fait se libérer de jaillissements figuratifs. Aux humanoïdes à becs d’oiseaux ou visages diaboliques de José Castillo, voyageant sur des bateaux/cocons, sous des pluies de flèches, triangles… gentiment symboliques. Aux personnages ambivalents de Simone Piccioto, à la fois eux-mêmes et leurs fantasmes, aux énormes têtes-masques. Et que dire des sculptures de Burr, surréalistes et tellement provocatrices ? ? Ailleurs, il se trouve face aux mises en scène lyriques de Jorg Hermle, puissantes et subjectives avec ses personnages aux yeux globuleux, inexpressifs, immobiles dans leurs univers angoissants. 

Burr,                 Gontard                  Castillo                        Piccioto           Hermle
Burr, Gontard Castillo Piccioto Hermle

          Mais il est aussi confronté aux espaces sombres comme des paysages kafkaïens de Marc Giai-Miniet, émaillés de personnages protégés de masques à gaz qui évoquent des mondes atomisés. Aux collages d’une précision de dentellière, de Jacques Déal, et ses villes aux monuments fantasques, donnant toujours l’impression d’être au bord de quelque destruction géante.  

          Parfois, il se rapproche, peut-être, du quotidien. Avec les scènes de la vie ordinaire, jeu, farniente et érotisme, de Moreno Pincas, aux traits incisifs à la Daumier. Avec les femmes, toujours la même en fait, de Pierre Dessons, tellement linéairement ciselées qu’elles ont l’air d’appartenir à quelque dessin animé un peu vénéneux. 

Giai-Miniet Deal Pincas, Dessins
Giai-Miniet Deal Pincas, Dessins

          Avec les érotismes gourmés de Michel Potier, peints à longs traits du pinceau, où des hommes en smokings, aux membres à peine ébauchés, semblent regarder tels des entomologistes des femmes quasiment nues. Avec les saltimbanques immobiles de Jean-Paul Souvraz, qui fixent quelque vis-à-vis situé en off, de leurs yeux étrécis, de leurs visages graves comme si la fête était trop tôt finie ! 

          Ailleurs, ce visiteur entre dans le monde des nostalgies : Nostalgie dans les « portraits » raides d’officialité ramenant Gashem Hajizadeh, aux traditions et aux fastes de son Iran impérial. Nostalgie dans les scènes très surréalistes d’Eduardo Zamora, et ses couples enlacés parmi des oiseaux cornus ou des boucs sur le toit, réminiscences peut-être de lointaines croyances païennes ou vaudoues de l’Amérique du Sud. 

Potier Siuvraz Hajizadeh Zalora
Potier Siuvraz Hajizadeh Zalora

       Nostalgie enfin, avec la minuscule sculpture hyperréaliste de Nili Pincas ; femme moulée dans sa robe longue qui pourrait n’être que photographique… n’était qu’à hauteur de sexe, surgit –fantasme ou rémanence de quelque présence désirée- une tête masculine ! 

          Une belle exposition, à la fois diverse par le caractère éminemment personnel de chaque univers pictural qui y est présenté ; et se rejoignant dans les thèmes existentiels les plus profonds. Plusieurs œuvres, mais une "Œuvre" unique, finalement, telle qu’on aime en avoir chez soi !

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2008.