DEUX PEINTRES RUSSES A LA RECHERCHE DE LEURS RACINES : 

PAVEL LEONOV et VASILIJ ROMANENKOV

à la GALERIE HAMER DE NICO VAN DER ENDT à AMSTERDAM

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          Quelles qualités doit donc posséder un artiste, pour être "repéré" parmi trois cents exposants d'Art brut et d'Art naïf ? Certainement une grande originalité, beaucoup de fraîcheur et en l'occurrence une authenticité absolue dans la naïveté ! 

          Telles ont été les "preuves" apportées par Pavel Leonov et Vasilij Romanenkov, participant à la Triennale 1998 d'Art insitic de Bratislava (¹) Membre du jury, Nico Van der Endt avait remarqué ces deux créateurs russes qu'il expose cet automne dans sa galerie d'Amsterdam : deux œuvres différentes, l'une naïve et spontanée, lancée avec fougue sur la toile ; l'autre naïve et retenue, très stylisée et précieuse.

 

Dans l'atelier de l'artiste, l'auteur salue les visiteurs
Dans l'atelier de l'artiste, l'auteur salue les visiteurs

          Face aux oeuvres de PAVEL LEONOV, le visiteur a le sentiment de regarder une bande dessinée qui narrerait de petites scènes de la vie populaire villageoise russe (forge du maréchal-ferrant, musiciens, cirque, ...). Mais la narration ne se situerait pas dans la continuité : chaque “fenêtre” (ainsi les nomme l’artiste) proposerait un épisode particulièrement marquant, indépendant des autres. Car les “séparations” jouent dans les tableaux un rôle très important : conçues comme des éléments de forêts, réseaux de branchages symétriquement disposés ou placés côte à côte, elles génèrent des sortes de niches (plutôt que des fenêtres), dans lesquelles le peintre love ses fragments d’anecdotes. Si l’on ajoute qu’il ignore ou ne s’intéresse pas à la perspective, voilà le tableau sectionné de rues verticales, de cours d’eau ou de prés parfaitement horizontaux. Voilà aussi tous ses personnages sur un même avant-plan, toujours vêtus de blanc. Mais, seuls les plus “importants”, -comme "Dans le studio de l’artiste, l’auteur salue les visiteurs"-, sont grands et dessinés avec précision. Les autres sont minuscules et simplement évoqués ; et appartiennent aux épisodes qui ont l’air d’être en suspension au-dessus des premiers !

Année 42 : Souvenir du camp de concentration géorgien
Année 42 : Souvenir du camp de concentration géorgien

          Pourtant, la “description” ne s’arrête pas là ! Pavel Leonov a-t-il réellement voyagé ? Ou son imaginaire l’a-t-il entraîné vers des lointains exotiques qu’il a assimilés à ses souvenirs réels ? Toujours est-il que parmi les télégues, hélicoptères, corbeaux ou oies sauvages... qui pourraient être tirés d’un conte de Tolstoï ou Gogol, d’un film d’Alexandrov ou Dovjenko, il introduit des éléphants, tigres, chameaux ou urubus... qui participent de la vie de sa toile ! Comme s’ils appartenaient depuis toujours à son univers familier ! Et, pour ses "Voyageurs russes en Afrique", pour , ou surtout "Année 42, souvenir du camp de concentration géorgien" (où il fut enfermé après des problèmes avec son père), l’artiste “déplace” l’histoire, lui donne une connotation intimiste : chasses africaines ou marine en déroute... deviennent en fait SA propre histoire. Il règle avec un humour inconscient, une tendresse récurrente, ses comptes avec la société, la famille, etc.

Le cirque
Le cirque

          Après quoi, en manière de conclusion, il entoure le tout d’un nouveau “buisson”, cadre dans le tableau qui, par l’impression qu’il donne, d’un relief, clôt l’histoire (les histoires) ; prête à l’oeuvre l’aspect d’une tapisserie plutôt que d’une peinture. Et il ajoute un titre qui est une sorte de pied de nez au spectateur ! Ce dernier, qui s’était laissé emporter par ses propres fantasmagories, se voit tenu de revenir à l'artiste, à SA famille, SON village… mais tout cela a déjà été dit !

 

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Maternité
Maternité

          Beaucoup plus sobre, apparaît l'œuvre de VASSILIJ ROMANENKOV. D'autant plus que, pour des raisons ignorées de Nico Van der Endt, il n'a pu envoyer que cinq œuvres. Mais quelles œuvres ! Très stylisées, possédant des icones la raideur mystérieuse et mystique ! Sortes de camées sertis de façon à produire un effet de relief, alors qu'ils sont plats ! Et brodés à l'infini de traits concentriques, ovoïdes ou triangulaires, etc. Ne décrivant pas, "posant la scène comme une évidence : Ainsi, dans "Le Cimetière rural", les villageois sont assis près de leurs défunts. Les mets posés sur la tombe attestent qu'ils festoient ; mais dans une totale immobilité réaliste et onirique ; comme un moment de temps figé ; la mort et la vie côte à côte dans une débauche grave de motifs décoratifs répétitifs, niellés sur les personnages aussi bien que le mobilier. 

Homme et Nature
Homme et Nature

Parfois, hermétiques, également, telle cette "Maternité" qui est en fait une Trinité ; similaire aux scènes des tympans des églises moyenâgeuses, où les Bons (ici les oiseaux) sont en haut, et les Méchants (tigres…) en bas ; enfer et paradis séparés par une infranchissable barre de flammes ! 

Symboliques, enfin, comme les arbres de "Homme et nature", hérissés de poils raides ; dont les troncs et les branches proposent -à l'instar des créations inuit- des masques grimaçants très colorés. 

          Des œuvres à la fois fascinantes et un peu angoissantes, par leur mélange de rusticité paysanne, de rites ancestraux, de piété orthodoxe… rendus avec la technique la plus parfaite !

 

Sans titre
Sans titre

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          Il faut donc féliciter NICO VAN DER ENDT dont la galerie (²) propose sans interruption depuis des années, des expositions remarquables d'artistes découverts dans le monde entier (Eva Drosera, Eugène Leduc, Andrea Murdocca, Ognjen Jeremic, Monique Schaar, etc.) ; ou adoptés d'endroits indiscutables comme Walla, Eing, Hauser, Kernbeis… Un galeriste sachant prendre des risques, capable de défendre sans se laisser influencer par toutes opinions négatives ou indifférentes, un créateur auquel il croit. Extrêmement exigent quant à la qualité des peintures ou sculptures qu'il expose. Sachant faire la part des modes vulgarisatrices et des sincérités absolues. Ne voulant que des œuvres créées avec beaucoup d'intensité et d'amour ! 

          A rencontrer par toute personne visitant la Hollande ! 

 

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Hiver 41
Hiver 41

          PAVEL LEONOV est né en 1920, dans la région d’Orol. Il a vécu à Orol, en Ukraine, en Azerbaïdjan, en Géorgie, en Ouzbekistan. Il a travaillé comme menuisier, bûcheron, réparateur de bateaux, cantonnier et peintre en bâtiment. Depuis 1975, il vit à la campagne. Leonov rêvait depuis son enfance de devenir peintre. Fin des années 60-début des années 70, il s’inscrit à l’Université ouverte où enseigne un artiste connu, représentatif de l’Art underground, Michel Roginsky.

          Dès le début des années 70, les oeuvres de Leonov sont présentées à Moscou, dans d’importantes expositions d’artistes soviétiques amateurs. En 1988, il expose à Paris et à Laval, en France. Des informations le concernant sont publiées dans l’Encyclopédie mondiale d’Art naïf (Belgrade 1984). Prouvant son imagination foisonnante, Leonov construit son monde heureux, fantasmatique et futuriste, en une fantaisie originale et une composition typique de l’art oriental.                 Dr. Xenia Bogemskaïa 

L’idéal de Pavel Leonov est celui d’une harmonie entre la technologie et la nature. Ses fantaisies très réalistes sont motivées par son souci de protection environnementale et des effets de l’industrie moderne. Shkarovskaya, Amateur d’art, Aurora Art publishers, 1975.

 

          VASILIJ TICHONOVICH ROMANENKOV est né en 1953, dans le petit village de Bogdanovka, un coin oublié de Dieu, où les coutumes patriarcales sont encore en usage. Les croix du cimetière de son village, enveloppées dans des nappes, ont produit sur l'artiste, une impression durable.

A quinze ans, il part chez des parents qui vivent à Moscou. Il fait son apprentissage d'ébéniste, et commence à travailler sur des chantiers de construction. Actuellement, il vit à Moscou, et travaille comme jardinier dans des parcs. Il mène une existence solitaire. 

          Romanenkov commence à peindre à l'âge de vingt-deux ans. Pendant plusieurs années, il suit les cours de l'artiste et professeur Rotanov qui influence son style unique. Ses dessins au crayon, parfois teintés d'encres de couleurs, représentent des compositions multi-figuratives, le nombre des personnages variant de plusieurs dizaines à une centaine. Ces personnages, traités en aplats, avec des visages identiques, portent par contre des symboles et des vêtements différents. Ils se touchent presque, créant une mosaïque ou une composition ornementale semblable à celles des tapis. Naissances, mariages, enterrements sont des thèmes récurrents. Les protagonistes y sont peints en groupes silencieux, dans des attitudes de respect, de prière et de sérénité. La signification sous-jacente des peintures de Romanenkov révèle des images de l'inconscient collectif, qui réunit les vivants et les morts d'une famille. Son dessin ressemble à "une écriture automatique" : "Quand je travaille", dit Vasilij, "c'est comme si quelqu'un murmurait à mon oreille ; comme si quelqu'un me guidait à travers le cosmos". Vadim Pomeschikov, State Caricyno Museum

 

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(¹) Art insitic = inné. 

TRIENNALE D'ART INSITIC DE BRATISLAVA : Créée en 1966 en Tchécoslovaquie, cette exposition à vocation internationale, se heurta dès sa création, à l'hostilité du grand frère russe (1966 : Printemps de Prague ; 1968 : entrée des chars à Prague) qui fit s'évader vers l'Europe de l'Ouest, de nombreux artistes. Elle parvint à s'organiser en 1969 et 1972. A ces deux dates, Cérès Franco, bien connue des amateurs d'Art  marginal qu'elle exposait dans sa galerie l'Oeil de Bœuf fut respectivement membre du jury, et commissaire de la Comission brésilienne d'art naïf. En 1972, elle obtint le Prix de la Meilleure Collection nationale. 

Interrompue pendant plus d'une décennie,  la triennale a repris dans les années 90, son rôle de promoteur de l'Art naïf ou brut, appelé là-bas Art insitic.

Nico Van des Endt y a assisté en 1998.

(²) GALERIE HAMER : Leliegracht 38. 1015 DH. Amsteram (Hollande.

 

 

CE TEXTE A ETE ECRIT LORS D'UNE EXPOSITION DE LA GALERIE HAMER DE NICO VAN DER ENDT (Amsterdam), ET A ETE PUBLIE DANS LE N° 64 DE JUIN 1999, DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

A VOIR AUSSI DANS LA RUBRIQUE RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S) : http://jeaninerivais.jimdo.com/