Singulière démarche, que celle de Claude Friess qui va d’atelier en atelier d’artistes; et revient périodiquement "se ressourcer" dans l’orbe de Pierre Merlier, sculpteur !

          En effet, ce jeune photographe, qui ne se prend pas pour Doisneau, ne s’intéresse ni aux couchers de soleil sur le port, ni aux bouquets de fleurs, ni à la communion du neveu... Épris d’originalité, seules provoquent ses réactions, les créations picturales des peintres parfois, des sculpteurs toujours ! Non pas pour produire des images banales d’œuvres posées classiquement face à l’objectif : mais avec un sens inné de la composition, le goût des mises en scène, de l’angle curieux, du rapprochement inattendu des "personnages", des contrastes entre le velouté de pêche d’une joue légèrement ombrée par une boucle de cheveux et la rugosité d’un visage corrodé par les éléments, entre les courbes pulpeuses d’une nymphe et l’anonymat d’un mur de béton graffité... Ou encore, il a une façon bien à lui de grimper au-dessus d’un groupe de sculptures de bois cloutés, les "prendre" sous un angle si serré, que le spectateur a l’impression de contempler en plongée les gratte-ciels new-yorkais !

          Retournant ainsi avec obstination vers leurs œuvres, Claude Friess témoigne de sa soif de "mettre à jour" la veine créatrice des plasticiens de son entourage, et, à partir d’elle, trouver sa propre création. Malheureusement, sa situation géographique ne lui permet de rencontrer que des artistes d’excellente qualité certes, mais d’une facture extrêmement classique ! De sorte que ce chasseur d’émotions fortes reste perpétuellement sur sa faim ! Et que, satisfait de la qualité technique de ses clichés, mais psychologiquement et intellectuellement frustré, il retourne, comme on va à la fontaine, vers les sculptures de Pierre Merlier !

       Pierre Merlier, orfèvre du bois, dont les personnages humanoïdes expriment si intensément les passions humaines qu’ils semblent des émanations des sept péchés capitaux : des créatures tellement symbiotes qu’elle paraissent indissociables, et qu’elles entraînent le visiteur dans une virulente satire sociale, une pensée multiforme d’érotismes exacerbés, d’obscénités naturelles, de réalités sordides et de fantasmes sans douceur ! 

           Ces oeuvres qui soulèvent l’enthousiasme de Claude Friess, éveillant peut-être en lui quelques troubles zones de sensations filiales à l’égard d’un “père” irrespectueux et provocateur, le font se sentir chez lui dans leur foisonnement. Là, son oeil collé à l’objectif, il muse sur quelque couple coïtant contre un mur ; flâne sous le regard torve de visages aux yeux multiples ; se perd dans des voisinages pervers de “gens” aux cervelles-branches ; les allonge pour générer des infinitudes de gisants aux postures impertinentes ; etc.

            Quelles corrélations peut-il exister entre les sages apports de ses habituelles pérégrinations, et la violence des oeuvres de Pierre Merlier ? Claude Friess a-t-il besoin de ce “repos du guerrier” pour revenir, piaffant d’impatience et bouillonnant d’imagination “photographiale”, vers le Maire aux bas résilles ; Otto Dix figuré en cul de jatte... ? Lui faut-il calculer ses indifférences pour se jeter sans garde-fous sur la gageure à lui lancée, par cette Forêt humaine ?...

 

         Au moins, le “photographe raisonnable” aura-t-il peaufiné sa technique en explorant ces “sujets” qui n’exigent rien d’autre. Il est probable, pourtant, sur la foi de son insatisfaction grandissante, que l’“autre” Claude Friess, élargira bientôt la gamme de ses exigences en partant à la recherche de plasticiens jusque-là inconnus de lui, capables de satisfaire  ses pulsions les plus violentes ! Mais si Pierre Merlier court les bois, les créateurs de sa trempe ne courent pas les rues. Il faudra donc au photographe la volonté avérée de courir à son tour les routes, en quête de nouveaux trublions à même d’assouvir sa démarche  si singulière !  

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE  ETE PUBLIE DANS LE N°  33 D'OCTOBRE 1997 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.